Au cœur de la forêt amazonienne, Rebecca, adolescente « miraculée », devient malgré elle l’emblème d’une mission évangélique. Transamazonia mêle foi, politique et manipulation, dans un récit dense où l’innocence affronte la machinerie spirituelle. Une plongée troublante et mystique.
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Transamazonia is a political and spiritual journey set deep in the Amazon rainforest. Rebecca, a teenage girl believed to be a miracle survivor, becomes the symbolic centerpiece of a remote evangelical mission. As religious fervor collides with land exploitation, the film dives into themes of manipulation, identity, and the conditional nature of faith. Directed by Pia Marais, this movie recalls the spiritual undertones of Touch (Paul Schrader), A Touch of Hope, and Holly (Fien Troch). A story of inner emancipation, where belief is both salvation and illusion.
Miracle ou manipulation ? Dans Transamazonia, une jeune fille devient le centre d’un conflit spirituel, politique et écologique en Amazonie.
Au cœur de la forêt amazonienne, Transamazonia nous immerge dans une communauté évangélique où se nouent foi, manipulation et enjeux géopolitiques. Rebecca, adolescente « miraculée », devenue figure de guérison, se retrouve au centre d’un conflit entre évangélisation, exploitation forestière et quête d’identité. Pia Marais signe un film à la frontière du mythe et du réel, porté par une mise en scène évocatrice et une tension spirituelle sourde. On y retrouve les échos de Touch de Paul Schrader, A Touch of Hope, ou encore Holly de Fien Troch, avec cette même figure fragile de l’enfant messianique. Le miracle ici est politique, et la croyance devient une arme à double tranchant.
Entre religion, industrie et politique
Le film s’ouvre sur une tension palpable : celle entre la mission chrétienne du père Byrne et l’arrivée des bûcherons sur les terres indigènes. Pia Marais le souligne elle-même : la présence évangélique dans ces zones reculées accélère parfois la destruction de la forêt. À travers ce prisme, Transamazonia fait apparaître un paysage digne d’un western moderne, où les prédicateurs ont remplacé les cow-boys, et les bulldozers les chevaux.
Rebecca devient alors un pivot : à la fois instrument de foi et icône construite. Elle n’est pas sans rappeler Holly dans le film éponyme de Fien Troch, écrasée sous le poids des attentes sociales. Comme dans Touch, la foi devient ici suspecte, insidieusement exploitée. Le parallèle avec A Touch of Hope est également pertinent : là où un homme prétendait guérir par la foi, ici c’est une adolescente qu’on élève au rang de sainte vivante.
Mais ce miracle est un leurre : le père a façonné une narration messianique pour mieux asseoir son influence. Derrière l’apparente piété, on découvre une logique de contrôle, de mise en scène quasi marketing – où le spectacle religieux est calibré comme une entreprise de communication politique. L’Évangile se mêle aux conflits fonciers. Rebecca devient le visage d’une croisade évangélique autant que le levier d’un rapport de force géopolitique : entre autochtones, exploitants forestiers et autorités coloniales modernes.

L’archétype de la sainteté ou prophète bidon ?
Rebecca incarne une figure ambivalente : à la fois mythe vivant et victime silencieuse. Déclarée “miraculée” après un crash d’avion, elle est propulsée, malgré elle, en égérie de la foi. Comme Moïse, sauvé des eaux, elle survit là où personne n’aurait dû vivre – mais là s’arrête l’analogie. Moïse guide un peuple ; Rebecca, elle, est guidée – et instrumentalisée – par son père. Elle ne libère pas, elle supplie ceux qui exploitent la forêt de la quitter, comme une prophétesse politique égarée dans un monde de rapports de force.
Dans la salle de prière à l’esthétique volontairement irréelle, presque “soucoupe volante” selon les mots de la réalisatrice, se joue un simulacre de miracle. Les guérisons sont moins spirituelles que performatives. Rebecca ne prétend pas guérir ; elle se dit la médium qui canalise, selon elle, la volonté divine. Elle conditionne le miracle à la foi du récepteur – un mécanisme bien commode pour justifier l’échec… ou garantir la dépendance.
Cette foi devient ainsi performative, presque contractuelle. On retrouve ici un parallèle fort avec les missionnaires dont l’amour est conditionnel, comme l’exprime Pia Marais dans sa note d’intention. Ce n’est plus Dieu qui guérit, mais l’adhésion à un système – social, religieux, politique.
Ce qui rend la trajectoire de Rebecca plus déchirante encore, c’est que sa propre légende ne vient pas d’elle. C’est son père qui a construit le récit de la miraculée, pour asseoir sa mission, pour donner un sens à sa propre foi — et, peut-être, pour obtenir un retour affectif de sa fille. Le film révèle peu à peu ce vol d’identité, cette confiscation de l’histoire intime au profit d’un destin collectif imposé. Il s’agit d’un drame de filiation silencieuse : celui d’une enfant aimée à condition de rester la vitrine d’un message. L’amour devient un échange implicite, où la reconnaissance du père dépend de la soumission de la fille. Plus qu’une manipulation spirituelle, Transamazonia met en lumière un lien affectif conditionnel, où la foi masque le besoin vital d’exister à travers l’autre.
Et au centre de cette machinerie : une adolescente qui doute. Qui se demande si son pouvoir est réel ou hérité du besoin d’amour paternel. Le film pose alors une question cruciale : qui est le véritable croyant ? Celui qui guérit ou celui qui a besoin de croire ? Rebecca devra descendre du piédestal, déconstruire le mythe pour redevenir une personne libre, autonome, faillible. Un chemin de croix intime.

Helena Zengel, l’émergence d’une enfant prodige
Le projet de Transamazonia est né d’un fait divers réel des années 1970, lorsqu’une jeune fille a survécu à une chute vertigineuse en Amazonie. Pia Marais, fascinée par cette histoire, part sur la route Transamazonica, découvre les tensions entre indigènes et exploitants, et pose les bases de son film. Mais loin d’un simple témoignage, elle construit un récit multi-couches, nourri de recherches, d’observations, et d’un engagement respectueux auprès des peuples autochtones.
Le casting mêle professionnels et non-professionnels, dans un souci d’authenticité. On découvre avec force Helena Zengel dans le rôle principal, révélée dans Benni de Nora Fingscheidt puis face à Tom Hanks dans La Mission. Elle incarne ici une adolescente tout en contrastes : fragile et déterminée, mystique et réaliste, malléable et déjà en lutte. Une performance centrale dans l’édifice du film.
Autour d’elle, des acteurs autochtones comme Hamã Luciano, João Victor Xavante ou Pirá Assurini apportent une dimension organique à l’histoire. La création du peuple fictif des Iruaté, fruit d’un travail collectif mêlant plusieurs cultures (Asurini, Saterê-Mawé, Xavante), évite le piège de la représentation simplifiée. L’engagement de la FUNAI et le rôle de producteur associé donné au peuple Asurini témoignent de cette volonté de collaboration éthique, rare en production internationale.
Enfin, Transamazonia ne se contente pas d’observer ; il s’enracine dans une réalité complexe, explorée avec une rare délicatesse. Le film est le fruit d’une immersion concrète, au cœur des tensions amazoniennes, d’un dialogue respectueux avec les communautés autochtones, et d’un récit nourri par les contrastes du territoire. Ce n’est pas une fiction plaquée sur un décor exotique, mais une œuvre née du terrain, façonnée par ceux qui le vivent. Une narration symbolique, oui, mais solidement ancrée dans une matière humaine, politique, spirituelle.
Transamazonia est un film troublant, à la fois sensoriel, politique et spirituel. Il interroge la foi comme outil de pouvoir, le mythe comme piège identitaire, et le miracle comme fable utile. Dans le sillage de Rebecca, le spectateur est invité à douter, croire, espérer. Un récit d’émancipation, où l’enfant-prophète devient femme libre, et où la forêt, théâtre d’une guerre invisible, devient aussi le miroir d’une transformation intérieure. Une œuvre forte, qui ne juge pas, mais questionne. Et c’est là sa grande réussite.
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30 juillet 2025 en salle | 1h 52min | Drame
De Pia Marais |
Par Pia Marais, Martin Rosefeldt
Avec Helena Zengel, Jeremy Xido, Sérgio Sartorio
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Une réflexion sur “Transamazonia – Quand la foi devient un outil de pouvoir”