Et si les grands espaces américains, loin des stéréotypes hollywoodiens, devenaient les témoins d’une douleur intime, d’un deuil silencieux, d’un itinéraire personnel hors des sentiers battus ? The Unknown Country de Morrisa Maltz ne raconte pas l’Amérique que l’on voit d’ordinaire dans les médias. Il la suggère, l’effleure, la capture dans ses moments suspendus, ses visages sans maquillage et ses paysages à perte de vue. Dans la lignée de Nomadland, le film propose une autre forme de voyage : un road trip existentiel, social et sensoriel à travers les confins du Midwest. Une femme, un deuil, une route. Et mille fragments d’une Amérique invisible, mais bien réelle.
Montrer l’Amérique silencieuse, celle de l’intimité
Ce que The Unknown Country dévoile avant tout, c’est cette Amérique invisible, celle qui vit hors-champ, loin du vacarme des bulletins d’info. Le film s’inscrit dans le climat post-électoral de 2016, mais sans frontalité : l’écho politique n’est perceptible qu’à travers la radio, comme un bruit de fond. Ce qui importe ici, ce sont les visages, les silences, les fragments de vies ordinaires. Morrisa Maltz dresse le portrait d’une nation intérieure, fragile, loin des slogans et des drapeaux. L’intimité prime sur le spectaculaire. Le personnage principal, Tana, ne cherche ni à fuir ni à conquérir, mais simplement à se réconcilier avec elle-même, en traversant un territoire que le cinéma délaisse trop souvent. C’est une autre Amérique qu’on explore ici : celle des solitudes, des paysages calmes, des deuils muets, des rencontres sans bruit.

Des visages de monsieur et madame tout le monde
Au fil du voyage de Tana, incarnée avec pudeur par Lily Gladstone, le film fait émerger des visages du quotidien : une coiffeuse amérindienne, un grand-père poète, un couple au restaurant, une famille qui célèbre un mariage… Ces personnes ne sont pas des archétypes, encore moins des figurants. Elles existent, tout simplement. Beaucoup sont des non-acteurs, filmés dans leur vie réelle, intégrés à l’histoire sans artifices. Morrisa Maltz a tissé son récit autour de vraies rencontres : c’est en se liant d’amitié avec Lainey Bearkiller, une jeune femme Oglala Lakota, qu’est née l’idée d’un personnage principal amérindien, et d’un mariage réel inclus dans le film. La caméra saisit l’authenticité de chaque personne, sans hiérarchie. C’est cette galerie d’humanité, simple et touchante, qui donne toute sa force au projet : un hommage vibrant aux invisibles, aux modestes, aux figures qui peuplent l’Amérique d’en bas.
Un style proche du documentaire à base de témoignages et de plans presque contemplatifs
Le style de The Unknown Country flirte avec le documentaire. Cela n’a rien d’un hasard : Morrisa Maltz est avant tout documentariste, et son approche du récit s’en ressent. Le projet est né d’une collecte de photos, de sons, d’impressions glanées au fil des années. La narration se construit par fragments, comme un carnet de voyage sensoriel. La réalisatrice confie avoir mis des années à assembler ses matériaux : interviews, enregistrements radio, témoignages… Ce sont ces éléments bruts, authentiques, qui nourrissent la texture du film. La mise en scène est contemplative, épousant le rythme des paysages et des silences. On regarde, on écoute, on ressent. Le montage, très fluide, suit le cheminement intérieur du personnage, sans jamais forcer la narration. L’errance devient langage. Cette méthode de création organique — écriture au fil du tournage, dialogues improvisés, scènes ajoutées à la volée — rend l’ensemble profondément vivant et incarné. On est dans la voiture avec Tana, on partage ses regards, ses respirations, ses doutes.

Un parcours intime et artistique
Le film est aussi le fruit d’un parcours personnel et artistique : un voyage initial en 2014, une photo de famille transmise par une grand-mère, et l’envie de reconnecter les époques et les territoires. Morrisa Maltz ne voulait pas filmer un road trip classique, mais une expérience sensible, une traversée de mémoires intimes et collectives. Elle insiste sur cette idée d’héritage vivant : marcher sur les traces des générations passées, comprendre où l’on se tient, et pourquoi. Le personnage de Tana, dont le prénom vient de « Tanagila » (le colibri), est aussi une métaphore discrète du fragile équilibre entre mouvement et enracinement.
Le travail avec Lily Gladstone, choisi pour sa connaissance du territoire et sa sensibilité, a permis d’approfondir ce lien entre fiction et réel. Le choix de Richard Ray Whitman (poète et artiste) comme grand-père est une autre pierre posée dans cette démarche d’authenticité.
On notera également la bande-son, signée Alexis & Sam, accompagnée de musiques originales de Neil Halstead (Slowdive), qui épouse l’esprit introspectif du film. Le projet a été tourné entre 2017 et 2018, avec une construction séquentielle fidèle au voyage de Tana, renforçant l’idée d’un cheminement autant géographique qu’existentiel.
The Unknown Country n’est pas un film de destination, mais de chemin. Il s’écoute comme un murmure d’Amérique, une confidence partagée sur une route oubliée. Il montre ce que le cinéma néglige : la dignité des anonymes, la beauté des paysages sans effets, le silence des cœurs en reconstruction. Morrisa Maltz signe ici un film-passerelle, entre documentaire et fiction, entre mémoire et présent, entre l’individuel et le collectif. Une œuvre modeste en apparence, mais d’une grande richesse émotionnelle, qui invite à ralentir, à observer, à ressentir. Parce qu’au fond, derrière chaque paysage, chaque visage, chaque détour, se cache une question universelle : où sommes-nous vraiment, et où allons-nous ?

Pour aller plus loin avec The Unknown Country
Le film suit-il un scénario classique ou une trame libre ?
Ni tout à fait fiction, ni tout à fait documentaire, The Unknown Country repose sur une trame évolutive, construite au fil du tournage. Le scénario s’est nourri d’expériences réelles, de rencontres imprévues, et de discussions entre la réalisatrice, l’actrice principale et les personnes filmées. Le tournage s’est fait dans l’ordre chronologique du voyage, permettant aux scènes d’émerger naturellement, sans suivre les conventions habituelles du récit. C’est cette liberté qui donne au film son authenticité et son rythme singulier, proche de l’observation vécue plutôt que de la narration imposée.
Quelle est la part réelle d’improvisation et d’authenticité dans les scènes ?
La majorité des scènes intimes — repas, discussions, regards échangés — n’ont pas été écrites mot à mot. Elles sont nées de moments vrais, partagés entre les acteurs non professionnels et l’équipe. Par exemple, le mariage que l’on voit dans le film est un vrai mariage, filmé avec le consentement et la participation directe de la famille concernée. De même, plusieurs dialogues ont été élaborés juste avant le tournage, à partir de souvenirs, d’idées ou d’impressions discutées collectivement. C’est un cinéma profondément collaboratif, organique, qui accepte de ne pas tout maîtriser.

Pourquoi le film insiste-t-il autant sur les lieux traversés ?
Parce que The Unknown Country n’est pas un film « sur la route », mais de la route. Chaque lieu n’est pas décor : il a été choisi pour ce qu’il signifie. Qu’il s’agisse d’une station-service, d’un motel déserté ou d’un paysage aride, ces endroits ont une mémoire, une âme, un poids. Ils disent quelque chose de l’Amérique d’aujourd’hui — celle qui n’a pas les mots, mais des traces. Morrisa Maltz voulait que le spectateur ressente les lieux comme des personnages silencieux, porteurs de vécu. Ce n’est pas une carte postale. C’est un écho.
Dès le 16 juillet 2025 sur UniversCiné
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16 juillet 2025 sur UniversCiné | 1h 25min | Drame
De Morrisa Maltz |
Par Morrisa Maltz, Lily Gladstone
Avec Lily Gladstone, Raymond Lee, Richard Ray Whitman
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