Les filles Désir, quand le poids des traditions se fracassent sur les rêves d’une jeunesse


Les Filles Désir est un film qui dérange, qui bouscule, et qui surtout refuse de choisir entre le cri et la caresse. Tourné à Marseille, sous un aqueduc et une chaleur presque symbolique, le film déploie ses tensions avec une apparente simplicité. Mais derrière les impros vives et les regards brûlants, c’est toute une société qui vacille : celle qui classe les femmes, qui étouffe les garçons, qui rêve d’amour, mais se heurte au réel. En suivant Omar, Yasmine et Carmen, le trio central, la réalisatrice Prïncia Car orchestre un récit d’une force brute, porté par des acteurs non-professionnels bluffants, où le désir, au féminin, devient une arme douce, mais implacable.

Nous sommes surpris par la brutalité de certaines scènes, de la force d’interprétation des acteurs et des actrices. Le titre polysémique à sa forme orale renforce la double narration du film :  une jeune fille qui représente le désir et aussi un rappel que les filles désirent beaucoup de choses, mais ne le disent pas dans une société patriarcale écrasante.  

Côté casting : Housam Mohamed, dans le rôle d’Omar, s’impose comme une belle découverte : son naturel et sa sincérité donnent une profondeur touchante à un personnage riche de paradoxes entre devoirs, rêves et espoirs. Face à lui, Lou Anna Hamon explose littéralement en Carmen : une révélation, à la fois intense et nuancée, dont la présence capte l’attention dès la première scène. Elle incarne ces filles que l’on désire, mais refuse d’épouser, comme le dit la phrase que l’on martèle de plus en plus : « il y a les filles pour coucher et celles que l’on épouse ».

Quant à Léïa Haïchour, elle incarne Yasmine avec une candeur troublante, presque déroutante : douceur apparente, mais ambiguïté latente, son interprétation oscille avec justesse entre naïveté sincère et intuition instinctive. Les deux femmes incarnent les désirs, les rêves et l’impossible bonheur dans un monde de masculinité toxique à souhait. Un trio équilibré, où chaque personnalité enrichit l’ensemble avec subtilité.

Les Filles désir © ZINC
Les Filles désir © ZINC

La jeunesse et le poids des traditions

Le film met à nu un paradoxe générationnel déchirant : une jeunesse que l’on croit libre, mais qui reste entravée par des codes ancestraux. À Marseille, dans un centre de loisirs baigné de soleil et de tension, les garçons règnent sur leur bande comme sur une cour de récré… avec des règles tacites, souvent toxiques. Omar, leader malgré lui, tente de faire bien, de protéger, de désirer sans briser, mais les injonctions contradictoires — virilité, respect, pouvoir — le broient. Face à lui, les filles avancent en silence, mais avancent quand même : elles parlent, elles s’interrogent, elles pleurent s’il le faut. Carmen et Yasmine incarnent deux formes d’émancipation, deux voies qui s’élèvent sans permission. Là où les garçons explosent, les filles contournent, négocient, résistent. Le film rend justice à cette intelligence intuitive, à cette force souterraine, que l’on voit trop rarement à l’écran.


Une histoire de rencontre à l’origine du film

Les Filles Désir, c’est avant tout une histoire d’amitié. Celle de trois femmes — Prïncia Car, Léna Mardi et Johanna Nahon — qui, depuis leur rencontre sur Mustang en 2015, ont fait le serment de créer un jour ensemble. Le temps, les parcours, les rêves et les galères ont passé, mais la promesse a tenu : un film, fait main, fait cœur, tourné avec des jeunes du quartier où Prïncia a grandi. Car c’est là, dans les quartiers Nord de Marseille, qu’est née la matrice du projet, à l’ombre d’un centre aéré, sous un aqueduc, entre des ateliers d’improvisation et des discussions à bâtons rompus. De ce terreau brut, la réalisatrice a tiré non pas des personnages, mais des présences : Housam Mohamed (Omar), Lou Anna Hamon (Carmen), Léïa Haïchour (Yasmine). Des visages qui ne trichent pas, des corps qui parlent vrai.

Le casting ne vient pas d’une agence, mais d’une histoire partagée. Ces jeunes, Prïncia les connaît depuis des années. Ils ont grandi avec elle, sur scène, en tournage, en écriture. Elle sait où appuyer, où creuser, elle les dirige à l’émotion près. Ils improvisent, mais toujours dans une vérité viscérale. Le naturel de leur jeu, nourri de leur vécu, confère au film une authenticité rare. Sur le plateau, l’énergie est joyeuse, artisanale, presque militante. Rien n’est figé : le scénario est un socle, pas une prison. Et c’est peut-être ça, le plus bouleversant : sentir à chaque plan que tout aurait pu dérailler, mais que, contre toute attente, la grâce est là. Parce que ce film, avant d’être un manifeste, est une aventure humaine, née d’un désir partagé de cinéma et d’émancipation.

Marseille, la jeunesse et des hommes-garçon

Marseille, ici, n’est pas un décor — c’est un battement. Une respiration. Prïncia Car ne filme pas « les quartiers » comme un sociologue ou un juge d’instruction, mais comme une sœur de passage, une témoin lucide. Les rues, les terrains vagues, les snacks, le centre aéré sous l’aqueduc… tout vit, tout palpite. On entend la mer au loin, mais elle n’est pas carte postale : elle gronde doucement, comme un souffle collectif. La lumière de l’été, les cris des enfants, les bruits de scooters ou les éclats de voix ne sont pas posés en ambiance : ils font corps avec les personnages, ils racontent leur tempo. C’est un cinéma du vivant, de l’instant, où chaque scène respire avec la ville. Le quartier nord devient un personnage à part entière : rugueux, drôle, imprévisible. Et surtout, infiniment réel.

Pour capter cette vérité, la mise en scène épouse le rythme du groupe. Caméra portée, plans à 360°, gros plans assumés : ici, l’image colle à la peau. La réalisatrice veut voir les visages, lire les silences, suivre les gestes spontanés. Les corps ne sont pas chorégraphiés, mais libres de se mouvoir, de respirer hors du cadre si besoin. Le son aussi participe de cette immersion : pas de surmixage hollywoodien, mais un travail fin, où le souffle de la mer, les voix naturelles, les résonances de la ville forment une nappe sonore continue. Même la musique, présente, mais discrète, laisse place à l’émotion brute. Et ce choix esthétique sert un propos fort : celui d’une jeunesse en transition, où même les garçons — souvent assignés à un rôle viril figé — apparaissent en tension. Omar n’est pas un oppresseur, mais un adolescent enfermé dans une image qu’on attend de lui. Le film ne juge pas, il tend la main. Il montre des garçons qui explosent faute de mots, et des filles qui avancent parce qu’elles parlent. Une fissure, peut-être, mais une porte aussi.

Les Filles désir © ZINC
Les Filles désir © ZINC

Les Filles Désir n’est pas un simple film social, ni même un drame intimiste : c’est un miroir tendu à une jeunesse piégée entre les normes d’hier et les aspirations de demain. La beauté du projet réside dans son refus des caricatures : les garçons ne sont pas des bourreaux, mais des garçons enchaînés à une virilité impossible. Les filles, elles, avancent avec un courage discret, une lucidité souvent douloureuse, mais une force imparable. En racontant cette tension, Prïncia Car filme aussi l’amitié, la libération, et le pouvoir de la parole. Car ici, le cinéma devient un terrain de jeu et de lutte, où l’on peut tout dire, tout ressentir, tout tenter. C’est une œuvre profondément vivante, imparfaite parce que humaine, rugueuse parce que sincère. Et dans cette rugosité, le spectateur trouve ce qu’il ne trouve plus assez souvent : une vérité nue, brûlante, lumineuse.

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Note : 4 sur 5.

16 juillet 2025 en salle | 1h 33min | Drame
De Prïncia Car | 
Par Prïncia Car, Léna Mardi
Avec Housam Mohamed, Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon


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