Cranky de Patrick Manian : un album sincère, rock et bouleversant entre errance, folk et spiritualité


Il y a des albums qui cherchent à séduire, et d’autres qui prennent leur temps pour se dévoiler. Cranky, c’est un peu ça : un disque aux multiples visages, qui ne cherche pas l’uniformité, mais l’intime, le vrai, l’éraflé. On y entend du rock, de la folk, un peu de synthé, mais surtout beaucoup d’âme. Chaque titre semble venir d’un endroit différent — émotionnel, géographique, parfois spirituel. Et c’est justement cette variété assumée qui rend l’écoute précieuse. L’album se découvre comme un carnet de route intérieur, sincère, personnel, et souvent bouleversant. Il y a de belles surprises, des ruptures de ton, des instants suspendus. Un disque qui ne triche pas.

Il y a de belles surprises ! On entend du rock, de la pop et bien plus ! Petit tour d’horizon de cet album à la fois riches et nostalgisant ! Vous pouvez soutenir le projet en allant acheter l’album sur Bandcamp !


L’album s’ouvre avec Rightly So. Ici, tout s’articule autour d’un ressenti diffus, insaisissable, presque spectral. La chanson ne cherche pas à expliquer les émotions — elle les laisse apparaître, se déposer, puis s’effacer, comme un souffle dans le noir. Le point fort est cette manière d’aborder l’amour et la connexion humaine non pas comme un besoin de comprendre, mais comme une présence mouvante, soumise au temps, aux silences, aux absences. Patrick Manian inscrit ses sentiments dans une dynamique de passage : les émotions viennent, repartent, laissent des traces invisibles, et c’est dans ce va-et-vient qu’elles prennent corps. C’est profondément intime et pudique, une façon de dire « je ressens » sans jamais imposer, sans jamais définir. Une parole douce, mais marquée, qui embrasse le mystère du lien sans chercher à le posséder.

Avec une attitude un peu plus solaire et moins mélancolique, Patrick propose quelque chose de surprenant dans le second titre. Via Don’t Be Shy, il livre un regard bouleversant et doux sur notre manière souvent maladroite d’aimer, de dire les choses, d’oser. Derrière une mélodie à la fois lumineuse et apaisante, la chanson explore la peur de passer à côté de l’essentiel : l’amour, le vrai, celui qu’on porte en soi, mais qu’on n’ose pas toujours offrir au monde. Ce qui touche, c’est cette capacité à parler des émotions sans détours, sans emphase, avec cette simplicité presque enfantine qui donne envie d’y croire. La symbolique est limpide : l’amour est partout, il transforme, il survit aux formes, et c’est à nous de ne plus nous cacher. En affirmant que chaque moment compte et que l’amour ne se vit pas à moitié, Patrick propose une manière d’être au monde où la vulnérabilité devient une force. C’est une invitation à dire, à vivre, à aimer pleinement — sans peur du ridicule, sans masque. Une chanson comme un geste tendre qui nous rappelle que ressentir, c’est exister, et qu’il n’y a rien de plus courageux que d’être sincère.

Diana & Patrick
Diana & Patrick

Never Attained Anything, un peu de Weezer et The solids « hey beautiful »

Dans cette chanson au titre désabusé, Patrick réussit à transformer une errance existentielle en forme d’affirmation douce et sincère. L’ambiance, les arrangements nous ont beaucoup fait penser à cette pop teintée Rock du début des années 2000 et fin années 90. Les groupes comme Travis ou Weezer,ou encore le célèbre Hey Beautiful de The Solids écrit spécialement pour la série How I Met Your Mother.

Derrière l’autodérision et l’absurde assumé, c’est une lucidité crue sur ce que signifie vivre sans balises fixes. La symbolique tourne autour de l’idée de recommencement perpétuel, non pas comme une fuite, mais comme une acceptation radicale de l’instabilité. Les émotions sont traitées avec une ironie flottante, presque détachée, et c’est précisément ce ton décalé qui rend le propos profondément humain. L’artiste ne cherche pas à se grandir : il s’affirme en ne s’affirmant pas, avec une honnêteté rare. Il prend le contrepied des récits de réussite pour révéler un rapport au monde fragile, bancal, mais curieusement libérateur. C’est en ne cherchant ni à convaincre ni à plaire qu’il touche, et en cela, il offre une manière très personnelle de parler de soi — floue, chaotique, et pourtant incroyablement sincère.

Les ténèbres, le côté sombre de Patrick dans Peace and Quiet

Contrairement à Never Attained Anything, qui adopte un ton résigné et flottant pour évoquer l’errance existentielle, Peace and Quiet plonge dans un conflit plus frontal, où les émotions sont à vif. Ici, l’affirmation passe par le chaos des relations humaines et l’urgence d’un apaisement. La symbolique est plus tendue : rift, confusion, contusion… autant d’images d’un malaise criant. Là où Never Attained Anything explore l’absurde pour rendre la vie tolérable, Peace and Quiet montre la violence du quotidien et la lutte pour exister dans la cohabitation avec l’autre. Les deux chansons évoquent l’identité, mais l’une se réfugie dans la dérision poétique, quand l’autre affronte la douleur brute d’une intimité fracturée.

On aime cette facette un peu plus mélancolique et torturé de l’artiste. Tired Alone propose aussi quelque chose allant dans quelque chose de moins festif, mais on n’a pas le travail dans les arrangements qui donne quelque chose de plus profond. Peut-être que ce n’est pas plus mal, car la transition est ainsi plus grande !

Lost My Way prolonge parfaitement les deux titres précédents : après l’errance douce (Tired Alone) et le chaos intérieur (Peace and Quiet), on touche ici le moment de bascule silencieuse. L’enchaînement est limpide : c’est la chute en soi, sans drame, juste cette lucidité amère de s’être peu à peu égaré. On a quelque chose de Rock, de déchainé et on sent transparaitre l’accumulation entre les différentes couches d’âme, de rancoeur et de désirs.

La fin de l’album marque une collision entre le rock et l’existentialiste

Dans ce quatuor final, Patrick tisse un fil rouge existentiel, rugueux et désabusé, qui colle à la peau. Testaverde est une décharge poétique, un monologue foutraque où l’identité se dérobe entre slogans, figures absurdes et auto-dérision maîtrisée. C’est du rock sans riff gratuit, ici tout est millimétré ! Du collage sous tension, et pourtant une quête limpide : dire enfin what I truly am. La consonance devient instrument, les mots claquent comme des coups de médiator, et c’est ce rythme qui donne sens à la fragmentation.

Puis All Those Years Ago ralentit, comme un vieux film retrouvé. On y sent la nostalgie brute d’une époque perdue, celle où la liberté semblait évidente. C’est court, presque naïf, mais dans cette naïveté surgit une forme de lucidité : savoir que le bonheur n’était pas durable, mais vrai, même un instant. L’existentialisme ici n’est pas intellectuel — il est vécu. On aime la production, l’énergie et la sincérité. On a ici la synthèse de l’univers de cet artiste, il est libre et offre ce qu’il sait faire le mieux, de la musique qui parle et raconte des histoires, la sienne et aussi celle des autres.

Old Rust prolonge cette fragilité, mais avec une forme de résilience. Le doute, la peur, les larmes : tout est là, mais quelque chose résiste. Accepter les épreuves sans fuir, faire face aux “vieux pleurs” avec un sourire. Il y a dans ce titre une foi discrète, sans dogme, juste cette idée simple qu’on peut traverser le vide sans s’effondrer. On a cette ambiance douce et pénétrante, c’est de la Folk, du guitare-voix. On s’y met à nu et sans triche ; on raconte les choses. C’est l’Art de Bob Dylan, celui des géants du Rock et de la Folk, les méandres d’une génération de Songwriters oubliés à cause de l’explosion des machines et de l’urbanisation de la musique populaire.

Et enfin Ride My Steed, western intérieur, referme le cycle en beauté. L’ironie y côtoie la fatigue d’un monde en pilote automatique. Le héros fatigué, libre, mais vidé, regarde l’Amérique et se demande si la liberté n’est pas devenue une cage. On y marche, la tête dans les mains, en quête d’un sens jamais donné. Quatre chansons, une même errance. Rock dans l’âme, mais profondément humaine. Cette chanson est l’emblème de l’Americana ou des chansons américaines qui nourrissent l’inconscient collectif des français ou européens. On y retrouve un peu de la bande originale d’Into the Wild d’Eddie Vedder. Une musique qui appelle à l’évasion, aux grands espaces et aussi à un retour vers la liberté personnelle, celle qui libère des diktats épuisants de la société.

Avec Cranky, Patrick Manian signe un album dense, riche, parfois déroutant, mais toujours humain. Il parvient à toucher sans frapper, à questionner sans imposer, à faire vibrer sans artifices. Du rock désenchanté de Testaverde aux élans folk de Old Rust, en passant par les blessures à vif de Peace and Quiet, chaque chanson creuse un sillon singulier, mais cohérent. Ce disque ne cherche pas à s’adapter à une époque saturée de formats ; il invite à écouter autrement, plus lentement, plus profondément. C’est de la musique à vivre, à ressentir, une œuvre faite pour les casques et les cœurs ouverts. Authentique jusqu’à l’os, Cranky est un refuge pour celles et ceux qui refusent de tricher avec leurs émotions.


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