Un ours sur l’île d’Yeu, une veuve hantée par le passé, un neveu prêt à s’envoler… Le Bonheur est une bête sauvage installe dès ses premières images une atmosphère entre fable poétique et chronique insulaire. Bertrand Guerry y tisse un récit de renaissance et de deuil, baigné dans la lumière changeante de l’océan et les silences habités des grandes douleurs. Mais derrière cette ambition formelle et cette tendresse palpable, le film se heurte à ses propres limites : une narration parfois trop engoncée dans le folklore local et un symbolisme qui tourne à vide. Un film entre grâce et frustration, qui caresse la magie sans toujours l’apprivoiser.

Un conte naturaliste plein de grâce, mais alourdi par son folklore.
Il y a dans Le Bonheur est une bête sauvage un souffle rare, un battement du cœur du monde, porté par une caméra délicate, une musique organique et un amour sincère pour les marges humaines. Tourné sur l’île d’Yeu, le film de Bertrand Guerry s’ancre dans la nature, les marées et les silences pour raconter une histoire de renaissance, de deuil et d’émancipation. Mais à force de flirter avec la fable et de jouer la carte du « haut en couleur », le film perd parfois l’intensité qu’il cherche tant à cultiver.
Une quête intérieure portée par l’île
Le film s’ouvre sur un mystère : un ours aurait été aperçu sur l’île. Prétexte poétique, fausse piste ou métaphore incarnée, la bête s’efface vite derrière la vraie matière du récit : Jeanne, veuve depuis dix ans, figée dans le manque, voit son quotidien chamboulé par le départ imminent de son neveu Tom. Lui veut devenir comédien à Paris. Elle, n’arrive toujours pas à s’en remettre. Autour de ce duo, les habitants s’agitent, s’aiment, renaissent, se perdent.
La mise en scène se veut sensorielle, presque impressionniste. On sent le vent dans les dunes, le sel dans les rides, et l’on comprend vite pourquoi le réalisateur compare l’île à un personnage à part entière. Pourtant, cette beauté visuelle se heurte à des choix de narration parfois trop ancrés dans le « local », au point de parasiter l’universalité du propos.
Entre deuil et désir d’évasion
Le film parle de deuil, oui, mais il parle surtout d’émancipation – de celle, plus discrète, qui ronge de l’intérieur. Sur cette île où chacun connaît l’histoire de l’autre, où les souvenirs flottent comme des fantômes entre les dunes, vouloir grandir, c’est vouloir partir.
Tom, 19 ans, rêve de théâtre et de Paris ; il veut échapper à ce décor figé dans le sel, où les rôles semblent assignés à la naissance. Mais partir, ici, c’est trahir. Quitter l’île, c’est abandonner ceux qui restent, ceux qui n’ont pas su ou pas pu s’arracher à l’habitude. Jeanne, elle, reste prisonnière d’un passé jamais digéré, figée par une perte qu’aucun rivage n’apaise.
À travers elle, le film montre à quel point l’émancipation peut être violente lorsqu’on vit dans un huis clos naturel et social. L’île, faussement paisible, devient une métaphore : belle, vaste, mais cernée d’eau – et donc d’impossibles. Ici, la liberté n’est pas une conquête mais une transgression. Quitter l’île, c’est naître une seconde fois, au prix de briser les attaches, les silences et les loyautés muettes. Un film sur la liberté comme déchirement.
Une bête poétique, mais difficile à apprivoiser
Le titre, Le Bonheur est une bête sauvage, s’éclaire en creux : ce que l’on poursuit avec ardeur, parfois nous échappe. Le bonheur ici n’est ni simple ni lisse. Il rugit, se terre, résiste. C’est ce que vivent Jeanne, Tom, et tous les autres. En cela, le film touche juste. Mais à trop vouloir marier le grotesque et le sacré, le trivial et le spirituel, il s’égare dans des scènes secondaires plus gênantes que drôles.
Bertrand Guerry ose. Il tente. Il invente un cinéma artisanal, sincère, teinté d’influences comme Gondry ou Wes Anderson. Et même si le résultat ne convainc pas toujours, il mérite d’être vu : pour son ambition, sa musique, et sa foi en l’humain.
Au fond, Le Bonheur est une bête sauvage est un film sincère, mais qui se réfugie un peu trop souvent derrière la poésie de l’instant. Il tente, il cherche, il ose même parfois, mais sans jamais vraiment franchir les limites du cadre qu’il s’impose lui-même. À force de vouloir célébrer le territoire et ses figures locales, il en oublie parfois de parler au-delà de son île. Certaines séquences, pourtant sublimes, se retrouvent lestées par un folklore qui alourdit ce qu’il aurait fallu laisser planer. Les scènes dans le bar du coin viennent éteindre les flammes des braises du presque fantastique proposé par le cinéaste. Le film aurait gagné à s’émanciper de ses codes pour s’envoler avec la fumée et la beauté du folklore. Dommage : la bête était là, mais elle n’a pas mordu.
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2 juillet 2025 en salle | 1h 35min | Comédie
De Bertrand Guerry |
Par Sophie Davout
Avec Sacha Guerry, Sophie Davout, Chris Walder
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