Avec Islands, Jan-Ole Gerster signe un film à la fois solaire et désenchanté, où l’évasion touristique devient le miroir d’un vide existentiel. Le film réussit à plonger le spectateur dans une époque et une ambiance, captivant par ses détails subtils comme la montre Casio des années 90 et la police d’écriture du générique. L’histoire d’Ace, un homme coincé dans une routine sans avenir, est parfaitement incarnée, et la réalisation souligne cette monotonie avec finesse. Le protagoniste, bien qu’anti-héros, incarne une certaine noblesse par son dévouement, sans recherche de profit. Esthétiquement, le film séduit par sa tension croissante, digne d’un Hitchcock, offrant une montée en puissance qui saura captiver les amateurs de suspense psychologique.
On a beaucoup aimé le trio, la manière de nous emporter dans une époque et la manière de réussir à nous donner l’impression de vivre des instants caniculaires sur certains plans.
Vivre à côté du monde : le portrait d’un homme à la dérive
Le film assez rapidement nous place dans une époque et une ambiance : la musique, la police d’écriture du générique ou encore la montre Casio très populaire dans le début des années 90. Islands nous place dans l’univers d’un homme vivant dans un quotidien entre soirée arrosée et un travail qu’il fait par facilité. La réalisation va jouer sur la monotonie d’une existence sans avancée et sans optimise, il vit chaque journée comme la précédente, une routine qui n’est plus de son âge et semble être désolante pour son entourage.
Le protagoniste reste un mec carré qui rend service, mais refuse d’être rémunéré plus qu’il ne faut.
Tom est l’archétype de l’homme discret et droit, celui que l’on remarque peu, mais qui tient debout quand tout vacille. Sa noblesse ne passe ni par le panache ni par les grandes phrases, mais par une rigueur morale presque décalée face à la désillusion ambiante. Il donne sans attendre, refuse la rémunération excessive, comme s’il cherchait à rester transparent dans un monde trop bruyant. Ce refus de profiter, d’exiger ou de manipuler, en fait un personnage rare. À sa manière, il incarne une forme de résistance silencieuse, un homme pour qui le service ne se monnaie pas, mais se donne – et cette posture, presque anachronique, renforce le sentiment qu’il vit à côté du monde plutôt qu’avec lui.

Le film esthétiquement est intéressant, il arrive à proposer une tension forte et une montée progressive qui plaira aux amoureux d’Hitchcock.
La mise en scène de Jan-Ole Gerster convoque une tension insidieuse, feutrée, qui rappelle les meilleures heures d’Hitchcock, mais avec une sobriété presque sèche. Le cadre est maîtrisé, les plans sont longs, pensés comme des respirations suspendues, et chaque séquence semble distiller un doute ou un malaise. Le rythme lent devient alors une mécanique de tension : plus on avance, plus le spectateur est happé, sans savoir précisément par quoi. Le sentiment d’étrangeté qui entoure Anne, les silences entre les personnages, les regards qui s’échappent : tout concourt à faire de Islands une œuvre où le suspense ne repose pas sur l’action, mais sur la dissimulation, les faux-semblants, et la crainte diffuse que quelque chose ne tourne.
Un film sur un personnage principal qui est secondaire dans la vie des autres, Ace est un anti-héros, il est monsieur tout le monde.
Tom, ou Ace selon le prisme adopté, n’est ni sauveur, ni figure centrale. Il est ce genre de personne que la vie oublie un peu, mais qui reste debout, souvent en marge. Anti-héros par excellence, il ne cherche pas à briller, ne résout rien, n’explose jamais. Mais c’est justement cette neutralité, cette non-existence assumée, qui lui donne de la profondeur. En se tenant en retrait, il devient le miroir des désillusions des autres, notamment d’Anne, elle-même empêtrée dans un mariage en ruine. Tom est un témoin passif qui finit par être touché, non pas par choix, mais par glissement. Et c’est dans ce glissement que le film trouve sa force : il nous parle de tous ces gens invisibles, qui traversent la vie des autres sans jamais y être invités.

Un casting efficace entre tension, trouble et passion
L’ambiance qui règne entre Tom, Anne et Dave dans Islands est faite de regards fuyants, de non-dits et de tensions qui s’accumulent comme la chaleur dans une chambre d’hôtel mal ventilée. Chaque interaction semble cacher un poids, une ambiguïté, voire une menace diffuse. On ne sait jamais vraiment si l’on est face à une histoire d’amour impossible, à une manipulation silencieuse ou à une répétition d’un drame passé. Le spectateur ressent un trouble, presque physique, tant l’écriture joue sur le malaise sourd, sur la faille de chacun : Tom fuit sa propre vie, Anne s’y débat comme une actrice sans texte, et Dave, tout en sourires crispés, incarne la figure du mari à la fois fragile et potentiellement explosif. Rien n’est jamais explicite, mais tout est suspect.
Côté interprétation, le trio fonctionne à merveille grâce à une direction d’acteurs millimétrée. Sam Riley donne à Tom une densité presque fantomatique, un mélange de dignité et d’épuisement intérieur, tout en retenue. Stacy Martin, elle, excelle dans l’ambiguïté : tantôt vulnérable, tantôt manipulatrice, elle joue de son passé d’actrice comme un masque trouble, jusqu’à brouiller nos repères. Quant à Jack Farthing, il insuffle à Dave un malaise plus abrupt, quasi clinique : ses silences, ses éclats, sa disparition… tout évoque une bombe à retardement émotionnelle. Ensemble, ils dessinent une triangulation humaine et dramatique d’une rare justesse, où chacun semble à la fois victime, témoin et coupable.
Islands n’est pas un film bavard, ni spectaculaire. Il murmure au lieu de crier, observe au lieu de juger. À travers le regard d’un homme en suspens, il explore la solitude moderne, le poids des regrets et la possibilité d’un sursaut. Le spectateur n’est pas guidé, mais invité à ressentir, à s’interroger sur ses propres fuites et réveils. En cela, Islands réussit là où bien des films échouent : il laisse une trace, douce et persistante, comme une chaleur étrange au creux du ventre.
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2 juillet 2025 en salle | 2h 03min | Comédie, Drame, Thriller
De Jan-Ole Gerster |
Par Jan-Ole Gerster, Blaž Kutin
Avec Sam Riley, Stacy Martin, Jack Farthing
Le saviez-vous ?
Pensé dès l’origine pour l’île de Fuerteventura, Islands s’ancre dans une géographie émotionnelle autant que réelle. Jan-Ole Gerster écrit ce scénario à partir d’une rencontre marquante avec un coach de tennis, dont la volonté obstinée de justifier son choix de vie sonnait comme une fuite travestie en liberté. Avec Blaz Kutin et Lawrie Doran, il tisse une narration sur le fil, inspirée de Tchekhov : des personnages en désir de changement, mais figés par leur propre inertie. La structure repose sur des réveils successifs du protagoniste, métaphores d’un éveil intérieur lent et douloureux. Rien n’est appuyé, tout est suggéré, dans une écriture qui préfère la faille au discours.
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