Sous Hypnose : la vérité vous fera peut-être mal


On attendait peu de Sous Hypnose, vendu comme un huis clos conjugal perturbé par une séance d’hypnothérapie. Une sorte de vaudeville nordique version start-up, pourquoi pas… Et pourtant, cette comédie dramatique suédo-norvégienne signée Ernst de Geer dépasse largement les clichés du couple en crise ou des paillettes de la tech. Avec finesse, elle déplie la cartographie invisible de nos relations humaines : les conventions sociales, la peur du jugement, l’obsession de la réussite, le besoin de validation. Le film ose même poser une question peu flatteuse : que reste-t-il de nous, une fois les filtres sociaux désactivés ? Et que deviennent nos amours quand ils reposaient sur des mirages de conformité ?


Et si s’aimer n’était qu’un mauvais réflexe pavlovien ? Et si la politesse tuait plus sûrement que le mépris ? Dans Sous Hypnose, on rit jaune et on serre les dents, car la satire est d’une précision chirurgicale. Derrière les lumières pastel d’un hôtel de conférence et les tenues bien repassées des startuppers, ce sont nos hypocrisies ordinaires qui se font épingler. Le malaise s’installe doucement, l’humour désarme, puis la claque émotionnelle tombe. Un uppercut nordique, doux, mais implacable, qui vient nous rappeler que la vérité n’est pas toujours libératrice – surtout quand elle met à nu ceux qu’on aime. Un film qui pique là où ça gratte : sous le vernis du couple, de l’ambition et des apparences.


Ce film est une belle surprise, on ne s’attendait à pas grand-chose, à part un film montrant les soucis d’un couple suite à une séance chez une thérapeute, mais c’est mieux que ça.

La première demi-heure installe un univers familier : un jeune couple bien comme il faut, une application dans la santé féminine, une conférence tech où l’on parle performance et storytelling. On anticipe la gêne sociale, les tensions conjugales, peut-être une chute attendue. Et puis, petit à petit, le film bifurque. La mise en scène minimaliste, mais redoutable de De Geer nous enferme dans les regards, les silences, les non-dits. Ce n’est plus seulement un film sur un couple en déséquilibre : c’est une radiographie de nos réflexes d’adaptation, une comédie cruelle sur l’envie d’être aimé… même en trichant un peu.


Sous Hypnose ©Jonathan_Bjerstedt

On met le doigt sur la problématique des relations avec les autres

Ici, ce ne sont pas les disputes qui font exploser le couple, mais l’honnêteté. Une vérité trop directe, trop nue, trop sincère. Le film décortique avec précision la mécanique relationnelle : nos attentes, nos projections, et cette peur sourde que l’autre ne soit plus ce qu’on voulait qu’il soit. Ce qui est mis en péril n’est pas l’amour, mais le contrat tacite de la convenance. Ce que l’on tolère pour continuer à plaire, ce que l’on tait pour ne pas déplaire.


• Nous avons peur d’être nous-mêmes

Sous hypnose ou non, Vera devient peu à peu elle-même – et c’est là que tout part en vrille. Car être soi, vraiment, sans vernis ni modération, c’est souvent dérangeant. Le film ose rappeler que l’authenticité n’est pas toujours aimable. Elle peut être malaisante, dérangeante, voire carrément subversive. Et pourtant, elle est nécessaire. Le récit devient une quête identitaire silencieuse, où chaque mot non maîtrisé devient une bombe sociale.


• Nos proches nous choisissent selon une dynamique qui correspond à leur propre besoin pour se rassurer ou assoir leur autorité.

Le personnage d’André incarne cette autorité douce, mais féroce, d’un partenaire qui veut bien aimer tant que l’autre reste dans le cadre prévu. La réussite du couple devient alors une stratégie, un duo marketé pour plaire au jury, aux investisseurs, à la société. Dès que Vera sort du script, c’est toute la mécanique qui déraille. Le film suggère que l’amour n’est souvent qu’un miroir qu’on tend à soi-même — et que l’autre n’est choisi que dans la mesure où il nous rassure, ou nous flatte.


Sous Hypnose ©Jonathan_Bjerstedt

Finalement, le film dévoile comment changer un détail dans notre perception de nos contraintes et de nos désirs peuvent créer un effet boule de neige menant à une forme de décompensation ou une libération. Cependant, nos proches veulent nous garder en cage et non nous aider à développer notre plein potentiel de peur de perdre leur place, d’être moins leader ou simplement de ne plus être le centre de votre univers. Égoïsme ou peur d’insécurité dû à des trop grandes faiblesses narcissiques ?


L’absurde comme révélateur social et l’hypnose comme catalyseur narratif

Ici, l’hypnose n’est pas qu’un prétexte scénaristique : elle devient le catalyseur d’un dérèglement existentiel. Ce n’est pas tant le phénomène hypnotique en lui-même qui fascine Ernst De Geer, mais ses conséquences en chaîne sur un individu soumis jusqu’ici aux normes sociales. Le film joue alors sur la bascule entre contrôle et lâcher-prise, entre performance sociale et sincérité brute. Ce qui aurait pu rester une anecdote devient, grâce à l’écriture ciselée du duo De Geer/Stegger, une exploration acide de l’aliénation contemporaine dans les milieux « positifs » et bien-pensants : celui des conférences de start-up, de la bienveillance toxique et des injonctions à l’authenticité rentable. Le ridicule devient une arme. L’absurde, un révélateur.

Au-delà du couple, Sous Hypnose radiographie les rapports de pouvoir en société, notamment dans des contextes ultra codifiés comme les concours de pitchs. L’ambiance feutrée, mais compétitive de l’hôtel devient une métaphore d’un monde où chacun performe en espérant ne pas trop dérailler. Le film interroge le rôle de la honte et du conformisme dans notre besoin d’appartenance, tout en observant les limites floues entre l’intime et le collectif. Qui décide de ce qu’il est acceptable d’être ? Où commence la marginalité quand on cesse de jouer le jeu ? En filigrane, De Geer questionne subtilement les rôles de genre et les rapports à la norme dans une société obsédée par la façade. Une œuvre plus politique qu’il n’y paraît, sous couvert de comédie malaisante.


Sous Hypnose ©Jonathan_Bjerstedt

À l’écran, Herbert Nordrum et Asta Kamma August sont explosifs et vrais !

Le duo central est la clef de voûte de cette réussite. Herbert Nordrum, dans son costume de startupper stressé, oscille entre contrôle glacial et panique rentrée. Il joue parfaitement l’homme qui voit le monde lui échapper, mais s’accroche à ses illusions comme à une bouée. En face, Asta Kamma August offre une partition brillante : son personnage glisse subtilement de l’angoisse à une forme de libération nerveuse. Son jeu est tout en nuances, en retenue d’abord, en fulgurance ensuite. On sent chez elle une joie nouvelle, presque enfantine, mais aussi une douleur sourde. Ensemble, ils rendent tangible cette danse toxique entre apparences et vérités, dans un couple au bord de la rupture.


Sous Hypnose n’est pas qu’une comédie dramatique scandinave de plus. C’est un miroir tendu avec une franchise brutale, mais une mise en scène élégante. Le film interroge ce que nous acceptons, ce que nous imposons, et ce que nous renions en nous-mêmes au nom de la relation. Il nous montre que parfois, grandir ensemble, c’est aussi accepter de se perdre un peu. En osant filmer la faille sans jamais juger, Ernst De Geer signe une œuvre à la fois intime et universelle, inconfortable et nécessaire. Un premier long métrage à la fois acide et doux, à ne pas laisser passer.


Une idée venue de l’inconfort, nourrie par l’embarras

Le film est né d’un sentiment que l’on préfère taire : la gêne sociale. Ernst De Geer l’avoue sans détours — ce qui l’a inspiré, ce ne sont ni les sciences cognitives ni un goût pour le paranormal, mais bien ce malaise diffus que chacun ressent quand les conventions s’effritent. L’idée a d’abord germé sous forme de jeu, en observant ce qui se passerait si un proche cessait soudainement de se conformer aux règles implicites du groupe. Ce scénario inconfortable s’est étoffé lors d’une retraite d’écriture avec Mads Stegger, coscénariste et complice de toujours, dans un chalet où les deux auteurs ont façonné les premières versions d’une histoire volontairement piégeuse. Le tout s’est affiné au fil des mois, jusqu’à adopter ce décor quasi burlesque de conférence tech et de concours de pitchs — un choix inspiré, d’autant plus que les deux auteurs avaient eux-mêmes vécu cette mascarade en festival, avec la même dose d’absurdité et d’anxiété. Résultat : un film où chaque gêne ressentie par les personnages est nourrie d’un vécu sincère, presque documentaire, qui donne à cette fiction son étrangeté si réaliste.



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Note : 5 sur 5.

25 juin 2025 en salle | 1h 40min | Comédie, Drame
De Ernst De Geer | 
Par Ernst De Geer, Mads Stegger
Avec Herbert Nordrum, Asta Kamma August, Andrea Edwards
Titre original Hypnosen


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