Enzo est ce moment suspendu de la vie, où l’on sent que quelque chose bascule. Où l’enfance s’éloigne sans que l’avenir ne se dessine encore. En arrière-plan : la guerre en Ukraine. Au premier plan : un garçon en quête de lui-même, en marge d’un monde dans lequel il peine à trouver sa place.
Solitaire, silencieux, Enzo aime la nage et le calme. Mais il s’oblige à « vivre » comme on lui dit de le faire : repas de famille, rires forcés, normalité de façade. Rien ne l’atteint vraiment. Autour de lui, tout semble sonner faux. Jusqu’à ce que l’inattendu se glisse dans la routine.

La crise d’ado, l’éternelle entrée en opposition avec les aînés
Enzo vit dans une tension permanente avec un père qui ne comprend rien à son mal-être, le jugeant “petit bourgeois en crise existentielle”. Le dialogue est rompu. L’adolescent traverse une période trouble, que même l’inquiétude parentale ne parvient pas à éclairer.
Mais Enzo n’est pas un film de réconciliation ni de rédemption. Pas de grande révélation, pas de virage spectaculaire : juste une tranche de vie, un entre-deux, une zone floue entre l’enfance qui s’efface et l’adulte qui ne vient pas.
Dans ce quotidien rugueux s’impose la figure de Vlad. Collègue taiseux venu d’Ukraine, survivant d’un père violent, il incarne pour Enzo un idéal mêlé de force et de fuite. Est-ce de l’amour ? De l’admiration ? Le film ne tranche pas, et c’est là toute sa force.
Enzo n’est pas une histoire de coming out. C’est une exploration intérieure, une aventure de l’âme, une quête identitaire qu’aucune case ne peut contenir pour un adolescent bicurieux.
Ce n’est pas un film sur la bisexualité ou l’homosexualité, mais un film sur la découverte de soi, un adolescent bicurieux !
Elodie Bouchez et Pierfrancesco Favino illustrent les parents quête de réponses
Il faut saluer le duo parental porté avec finesse par Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino. Dans le rôle de Marion, elle confirme cette trajectoire discrète, mais puissante qu’elle trace depuis Pupille : celui d’une mère en éveil, parfois impuissante, mais toujours juste. Son regard dit ce que les mots n’osent plus formuler. Spectatrice lucide d’un fils qui s’éloigne, elle n’est ni larmoyante ni passive. Elle observe, encaisse, et cherche l’ouverture sans jamais imposer. Il y a, chez elle, cette mélancolie douce, ce tact émotionnel qui fait toute la beauté de son jeu.
Face à elle, Pierfrancesco Favino incarne Paolo avec une puissance rentrée, presque animale. Il est ce père viril, solaire, un peu hors-sol, qui croit encore que le bonheur s’attrape à coups de barbecues, de sorties bateau et de bons diplômes. Mais derrière cette façade, une faille. L’acteur excelle dans ce contraste : son corps dit l’autorité, sa voix parfois trahit le désarroi. Il sent que quelque chose lui échappe, que son fils porte une douleur qu’il ne comprend pas — ou qu’il refuse de voir, car elle lui ressemble trop. Ce duo parental, construit sur une incompréhension silencieuse, donne au film une charge émotionnelle bouleversante. Là où Pierfrancesco campe un homme en lutte contre sa propre impuissance, Élodie incarne la patience tragique de celle qui comprend sans pouvoir réparer. Ensemble, ils dessinent l’écho déformé d’un couple qui regarde s’éloigner l’enfant qu’ils pensaient connaître.
Un film dans lequel les silences valent mieux que mille mots.
Le film assume ses silences, ses zones d’ombre, ses hésitations. Pas de raccourci, pas de cliché. Robin Campillo, dans un dernier geste commun avec Laurent Cantet, signe une œuvre à la fois intime et universelle, où le trouble n’est jamais instrumentalisé. Un film d’écoute, de flottement, qui touche juste.
Film d’apprentissage sans leçon, Enzo esquisse l’âge des premières grandes questions : qui suis-je, que veut-on de moi, et pourquoi ce décalage entre les deux ? C’est un récit où l’on aime sans savoir, où l’on nage sans destination. Un film qui parle à toutes les âmes un peu trop sensibles pour cette époque. Un film nécessaire.
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18 juin 2025 en salle | 1h 42min | Drame
De Laurent Cantet, Robin Campillo |
Par Laurent Cantet, Robin Campillo
Avec Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez
❓ Pour aller plus loin avec Enzo
Comment est né le projet ?
Enzo est le fruit de la dernière collaboration entre Laurent Cantet et Robin Campillo. Lorsque Cantet apprend sa maladie, il choisit de confier la mise en scène à son fidèle complice, dans le respect total de leur vision commune. C’est une œuvre de transmission autant que d’amitié.
Comment s’est fait le casting ?
Le duo Campillo/Cantet a choisi un équilibre entre figures connues (Élodie Bouchez, Pierfrancesco Favino) et révélations comme Eloy Pohu, ancien nageur de haut niveau, qui incarne avec justesse la retenue et la mélancolie d’Enzo. Maksym Slivinskyi, repéré sur un vrai chantier, apporte une densité brute à Vlad.
Pourquoi ce lieu et cette époque ?
La Ciotat, entre ciel éclatant et chantiers bruts, incarne ce paradoxe entre insouciance apparente et réalité rugueuse. Le contexte contemporain, marqué par les échos de la guerre en Ukraine, amplifie les tensions et le besoin d’échapper aux injonctions sociales.
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Une réflexion sur “Enzo – Quand l’adolescence heurte le réel : une traversée intime et politique”