Avec Indomptable, Thomas Ngijol délaisse la comédie pour livrer un film sombre et viscéral, ancré dans la réalité sociale de Yaoundé. À la croisée du polar, du drame familial et du portrait générationnel, il signe une œuvre tendue et sincère, librement inspirée du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault.

Un père à bout, un pays à deux vitesses
Dans Indomptables, Thomas Ngijol offre un regard sanglant sur Yaoundé.
Un drame sombre sur le conflit générationnel d’un fils sur le départ et un père traumatisé par son passé et son enfance volée. Progressivement, l’intrigue tire vers le drame social : la violence policière, l’éducation, la violence dans les villes et les rues.
Le film montre un père sévère et autoritaire. Il justifie son attitude comme n’étant pas mauvaise, mais africaine. Un film dévoilant le racisme entre les ethnies et peuples d’Afrique. Le père veut protéger ses enfants en les poussant toujours plus, mais les étouffe et les fait fuir. Ils ne peuvent plus respirer ou vivre comme la nouvelle génération, plus insouciante que celle du père. Ce dernier voit les choses en noir et son métier ne l’aide pas, confronté aux crimes, banditismes et conséquences d’une société dangereuse et sans morale.
Montrer la crise sociale sur un contexte technologique
Les paradoxes d’un monde connecté en 2025 : smartphone et iPhone dernier cri dans un pays où l’on tourne encore avec des anciennes voitures et des PC des années 2000. Le film montre que tout le pays fonctionne sur deux vitesses : celle de la jeunesse née dans la technologie, et celle des administrations vivant encore en 2000. Le reste du pays court après un écart technologique.
Backstage : un tournage viscéral, porté par la sincérité
Le film est librement adapté du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault, découvert par Ngijol à la fin des années 90. Tourné au Cameroun avec un casting 100 % africain, Indomptables se veut un projet personnel et viscéral. Le réalisateur y incarne lui-même le personnage principal, commissaire hanté par une enquête sanglante et son propre passé.
La photographie de Patrick Blossier refuse tout esthétisme artificiel pour une image brute. La musique signée Dany Synthé et Isko mêle sons urbains, bruits ambiants et tension dramatique, sans tomber dans les clichés. Le tournage, éprouvant mais humainement riche, a été porté par la passion et l’engagement de toute l’équipe.
Indomptables frappe fort. Un film nécessaire, sans concession, qui donne voix aux silences, aux douleurs et aux tensions d’un père, d’un pays, et d’une époque. Thomas Ngijol réussit ici un virage maîtrisé, aussi politique qu’intime.
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11 juin 2025 en salle | 1h 21min | Policier
De Thomas Ngijol |
Par Thomas Ngijol
Avec Thomas Ngijol, Danilo Melande, Bienvenue Mvoe

Pour aller plus loin – Le Cameroun d’aujourd’hui, celui de l’intime dans le regard de Ngijol
Derrière le polar tendu de Indomptables se cache une œuvre profondément intime. Thomas Ngijol n’y raconte pas seulement une enquête ou un pays, mais un père, le sien, et celui qu’il est devenu. À travers la figure du commissaire Billong, il dresse le portrait d’un homme en lutte, pris dans un héritage patriarcal lourd, entre devoir de transmission et difficulté à aimer sans oppresser. Ce qui ronge les personnages, ce n’est pas la peur, c’est la honte. Celle qui s’installe dans le silence d’un regard, plus violente que n’importe quelle colère. Ce père-là ne sait plus parler à ses enfants. Et ce fils-là, comme tant d’autres, construit sa vie ailleurs, sans renier d’où il vient.
Cette tension intérieure trouve son reflet dans un pays qui avance en claudicant. Le Cameroun que filme Ngijol est à deux vitesses, fracturé entre une jeunesse ultra-connectée et des services publics figés dans le passé. Les iPhones côtoient les voitures des années 90, les enseignants peinent à être entendus, les pères comme les fils se battent pour ne pas sombrer. Pourtant, malgré le chaos social, l’humour affleure. Le film ne s’interdit jamais une réplique décalée ou un moment burlesque. Parce que le rire, là-bas, fait partie du quotidien. Il n’efface pas la douleur, mais il permet de tenir debout, avec dignité.
Il y a aussi les femmes. Pas en simples silhouettes secondaires, mais comme piliers silencieux. La femme de Billong tient la maison d’une main ferme, sa fille bouscule les codes en jouant au foot et en claquant la porte. Ngijol ne force jamais le trait. Il filme une société en mutation, sans didactisme ni posture. Et cela passe jusque dans les détails vestimentaires : le port du costume, le soin de la cravate, signes d’un statut, d’une posture. Comme une ultime tentative de préserver une forme de respectabilité dans un monde où tout fout le camp.
Il y a aussi cette autre part importante dans ce film, la musique. Indomptables est aussi un film de sons. Avec Dany Synthé à la composition, Ngijol a voulu éviter tous les pièges. Pas de rythmes afro attendus, pas de folklore de façade. La musique naît du chaos ambiant, des bruits de la ville, des voix qui se superposent. Elle est organique, tendue, jamais illustrative. Et parce qu’il connaît ses comédiens, tous issus du Cameroun, Ngijol leur a laissé l’espace. Pas de méthode imposée, pas de façonnage à la française. Juste une vérité d’interprétation, brute, sincère. Comme ce pays qu’il filme avec amour, rudesse, et une forme d’élégance sans masque.
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Une réflexion sur “Indomptables : Thomas Ngijol affronte les fantômes de Yaoundé”