Another End : un film bouleversant sur le deuil et l’amour, par Piero Messina


Et si l’on pouvait dire adieu une dernière fois… vraiment ? Another End, nouveau long-métrage bouleversant de Piero Messina (L’Attente), explore ce fantasme universel : offrir une seconde chance à l’amour au travers d’une technologie qui défie le deuil. Sélectionné en compétition officielle à la Berlinale 2024, ce film envoûtant s’inscrit dans la veine d’un Eternal Sunshine of the Spotless Mind mélangé à un épisode glaçant de EVIL, où l’intelligence artificielle ravive les fantômes du cœur. Derrière son esthétique suspendue, c’est une véritable méditation sur la perte, le souvenir et l’illusion du « encore un instant » que nous propose ici le cinéaste italien.

Une écriture sensorielle et philosophique

L’écriture de Another End prend racine dans une idée vertigineuse : et si aimer, c’était plus que les souvenirs ? Si la présence d’un corps inconnu habitée par une âme familière suffisait à rallumer l’étincelle ? Piero Messina et ses co-scénaristes évitent les écueils classiques de la science-fiction pour privilégier une approche sensorielle, presque méditative, où le thriller ne surgit que par petites vagues, au profit d’un mélodrame à fleur de peau. La technologie n’est pas le sujet, elle est l’outil narratif, le prétexte à interroger la frontière entre l’amour et la mémoire, entre la vérité et ce que nous voulons croire. Ce qui rend le film si poignant, c’est ce malaise diffus : cette « éternité temporaire » devient le poison sucré d’un deuil qu’on refuse de traverser.

© Copyright Damned Distribution
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Un film d’une véritable beauté et touchant, car il nous ramène à nous-même et notre propre rapport avec la mort.

On a pensé à Eternal Sunshine et aussi un épisode de la série EVIL où l’on montrait des personnes ramenées à la vie à travers une IA synthétisant toute la mémoire du défunt. Offrant une illusion, une extension permettant de parler une dernière fois à l’être perdu.

Le film montre comment l’Homme cherche une forme d’éternité temporaire et essaie de résoudre ce qui ne le pourrait pas. Il y a cependant quelque chose de brutal et violent, de l’ordre du trauma. Ressusciter quelqu’un, même temporairement, va à l’encontre d’un processus sincère de deuil. C’est alimenter en quelque sorte une part de l’endeuillé comme ceux accros aux médiums et spiritisme. 

Un film d’une véritable beauté, bouleversant parce qu’il touche à ce qu’il y a de plus intime : notre façon d’aimer, de perdre, de se souvenir. Another End ne cherche pas à consoler, mais à exposer cette zone grise entre l’absence et l’illusion du retour. Il nous confronte à cette part de nous qui refuse le silence définitif, qui préférerait l’écho au vide. En cela, il agit comme un miroir : celui d’un deuil suspendu, où la mémoire devient un refuge autant qu’un piège. Cette expérience de cinéma ne cherche pas à nous rassurer, mais à réveiller ce que nous n’osons plus interroger : que reste-t-il quand l’amour survit à la mort ? 

On peut citer d’un dénombrable film où l’on est face à héros qui va pouvoir jouer avec le temps et le destin : Retour vers le futur, L’effet papillon … ou encore l’adaptation moderne du roman La machine à remonter le temps montrant un homme voulant sauver un être cher, mais toutes ses tentatives mènent toujours à une finalité décevante. L’Homme veut dépasser sa condition de simple mortel en devenant un Dieu, mais le résultat le mène à une solitude dévorante.


Un casting européen de haut vol

Rarement un casting international n’aura autant servi la justesse d’un propos. Gael García Bernal incarne Sal avec une douleur rentrée, presque fiévreuse, faisant écho à ses rôles les plus intimes. Face à lui, Renate Reinsve (Julie en 12 chapitres) se dédouble entre Zoé et Ava, et livre une performance d’une délicatesse inouïe. Quant à Bérénice Bejo, elle apporte à Ebe, la sœur, une profondeur fraternelle rarement vue à l’écran. Ce trio européen offre à Another End une crédibilité émotionnelle qui transcende les frontières. Le film, produit entre l’Italie, la France et le Royaume-Uni, célèbre cette Europe du cinéma, capable de tendre un miroir universel aux âmes endeuillées de toutes langues.

© Copyright Damned Distribution
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Touchant, troublant, parfois dérangeant, Another End s’impose comme une œuvre d’une beauté douloureuse. En brouillant les limites entre corps, mémoire et illusion, Piero Messina signe un film profondément humain, qui interroge sans juger et bouleverse sans jamais forcer. Un miroir noir et poétique tendu à notre désir de conjurer la mort… pour quelques instants de plus.

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Note : 5 sur 5.

28 mai 2025 en salle | 1h 58min | Drame, Romance, Science Fiction
De Piero Messina | 
Par Piero Messina, Giacomo Bendotti
Avec Gael García Bernal, Renate Reinsve, Bérénice Bejo


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