Entre sensualité, malaise et quête d’identité, Hot Milk déploie une tension lente et introspective, où chaque silence pèse lourd. Dans ce récit à fleur de peau, la réalisatrice Rebecca Lenkiewicz donne vie à l’univers de Deborah Levy à travers un trio d’actrices d’une justesse rare : Emma Mackey, Fiona Shaw et Vicky Krieps. La chaleur andalouse — transposée en Grèce — devient personnage à part entière, transpirant l’oppression, le désir, la fuite et le poids du passé. Ce film n’offre pas de réponses faciles, mais il bouscule, comme un grain de sable dans une chaussure trop étroite.

Entre mélancolie et destruction lente
Une mélancolie à la fois sensible et poétique. Le film propose une mise en parallèle de la mère et de la fille, leur deuil et leur vie passé.
L’actrice Emma Mackey joue avec brio les tensions psychologiques du film, qui cependant a des longueurs qui peuvent déstabiliser les spectateurs. Certaines scènes reprises plusieurs fois, mais avec des différences viennent distordre notre perception du récit.
Un lieu envahissant et puissant
Dans ce désert où même la lumière semble douter, le film avance à pas feutrés, entre sensualité et suffocation. L’Andalousie devient miroir des âmes, et Vicky Krieps incarne Ingrid le grain de sable qui fera sortir l’héroïne de sa vie bien rangée. Tout en silences, donne chair à l’indicible. Une œuvre qui touche par ce qu’elle retient autant que par ce qu’elle révèle.
Chaque plan respire la tension intérieure, chaque silence dit l’âpreté des liens. Rebecca Lenkiewicz filme le non-dit avec une précision presque cruelle, laissant la chaleur user les corps comme les esprits. La mer, en contrepoint, charrie les désirs enfouis. On en sort troublé, suspendu, comme Sofia, entre deux rives — celle d’un passé étouffant et d’un avenir incertain, encore à inventer.
Une actrice au cœur du trouble
Emma Mackey, de tous les plans ou presque, porte le film avec une intensité contenue, faite d’observations, de doutes et de frémissements. Pour incarner Sofia, elle s’est imprégnée d’une forme de retrait permanent, d’un regard à la fois absorbant et méfiant. Ce personnage en latence, en suspens, lui a permis d’explorer un jeu tout en tension sourde, loin de ses rôles plus frontaux. Elle-même évoque le tournage comme un terrain d’expérimentation inédit, où chaque scène avec Vicky Krieps ouvrait un espace d’improvisation poétique. Enfermée dans une relation mère-fille aussi fusionnelle que toxique, Sofia trouve en Ingrid un catalyseur, mais aussi un nouveau piège. Mackey en restitue toutes les ambiguïtés, sans surligner, avec cette justesse frémissante qui ne quitte jamais son regard.

C’est dans cette lente progression intérieure que se joue la véritable bascule du personnage, imperceptible d’abord, puis profondément bouleversante.
Tout au long du film, Sofia semble glisser à la surface des choses, presque étrangère à ce qui l’entoure. Cette distance n’est pas froideur, mais un mécanisme de survie : une manière de ne pas sombrer. Emma Mackey excelle dans cette retenue, ce refus de céder aux démonstrations. Ce choix de jeu, minimal, mais viscéral, installe une tension latente, presque imperceptible. Et puis, sans prévenir, tout s’ouvre. L’émotion surgit là où on ne l’attendait plus, comme une brèche dans un barrage trop longtemps contenu. Ce moment, d’une pudeur désarmante, agit comme une lame silencieuse : il ne tranche pas net, il laisse saigner lentement.
Hot Milk ne se livre pas : il se ressent, il s’éprouve, il s’infiltre. Rebecca Lenkiewicz signe un premier film à contre-courant, où la forme épouse le fond dans une lente désagrégation des repères. Ce n’est pas une histoire de gestes ou de cris, mais de tensions diffuses, de regards qui s’évitent, de silences qui cisaillent. Loin du spectaculaire, le film creuse les failles, les zones floues, les ambiguïtés. On en sort sans certitude, mais avec cette impression persistante d’avoir traversé quelque chose de viscéral. Comme Sofia, on vacille, mais on avance. Un pas de plus vers soi.
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28 mai 2025 en salle | 1h 32min | Drame
De Rebecca Lenkiewicz |
Par Rebecca Lenkiewicz
Avec Emma Mackey, Fiona Shaw, Vincent Perez
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Et si vous voulez aller plus loin, la FAQ qui suit éclaire les coulisses, le tournage, les intentions de la réalisatrice…
Pour aller plus loin avec Hot Milk
1. De quoi parle le film Hot Milk ?
Il s’agit d’un drame introspectif centré sur la relation complexe entre Sofia et sa mère Rose, dans un huis clos étouffant où les rancunes et les désirs se heurtent.
Pour aller plus loin… Le film explore l’émancipation contrariée d’une jeune femme, étranglée par un amour maternel possessif, dans une atmosphère aussi sensuelle qu’oppressante, où chaque geste devient révélateur d’une tension enfouie.
2. Qui est la réalisatrice de Hot Milk ?
Rebecca Lenkiewicz, scénariste reconnue pour Ida, Désobéissance et Colette, signe ici son premier long-métrage en tant que réalisatrice.
Pour aller plus loin… Déjà reconnue pour son écriture exigeante, elle impose ici un regard féminin fort, lucide et sans complaisance, apportant une densité rare au cinéma intimiste contemporain, avec une mise en scène tout en pudeur et intensité.
3. Quel rôle joue Emma Mackey dans le film ?
Elle incarne Sofia, une jeune femme tiraillée entre devoir filial et envie de liberté, qui se laisse troubler par l’apparition d’Ingrid.
Pour aller plus loin… Entre observation passive et tentation d’agir enfin pour elle-même, son personnage devient le miroir d’un combat intérieur où la sensualité, la colère et l’espoir dessinent peu à peu un nouveau visage de femme.
4. Où se déroule l’histoire de Hot Milk ?
L’action se situe en Andalousie, bien que le tournage ait eu lieu en Grèce, à Marathon et Athènes, pour des raisons logistiques.
Pour aller plus loin… Ce décor ensoleillé devient un personnage à part entière : brûlant, minéral, presque irréel, il incarne les tensions invisibles qui minent les relations mère-fille, en les plaçant dans une étuve à ciel ouvert.
5. Quels sont les thèmes majeurs abordés dans Hot Milk ?
La dépendance, le deuil, la maternité étouffante, le désir féminin et l’émancipation psychologique.
Pour aller plus loin… Loin des clichés, le film aborde ces thèmes avec une précision chirurgicale, dénouant lentement les fils d’une relation trouble où l’amour devient entrave et où chaque silence hurle plus fort que les mots.
6. Qui incarne la mystérieuse Ingrid ?
Vicky Krieps, dont la prestation, pleine de nuance et d’intensité, joue un rôle pivot dans le bouleversement de Sofia.
Pour aller plus loin… À la fois muse, miroir et révélatrice, Ingrid fait naître le trouble, poussant Sofia à s’interroger sur son identité, sa sexualité et ses désirs. Vicky Krieps incarne cette force fragile avec une élégance magnétique.
7. Comment le film a-t-il été adapté du roman ?
Le scénario reste fidèle à la langue dense et poétique de Deborah Levy, en soulignant les tensions physiques et psychologiques du texte.
Pour aller plus loin… Rebecca Lenkiewicz réussit à traduire l’intériorité du roman sans le figer, en jouant sur les répétitions, les ellipses et les ruptures de ton, pour faire ressentir le vertige émotionnel des personnages.
8. Quelle est la particularité visuelle du film ?
Une photographie volontairement simple mais picturale, influencée par Fassbinder et Beineix, où la lumière naturelle sculpte les émotions.
Pour aller plus loin… Chaque plan est composé avec un soin tactile, révélant l’invisible, les frémissements de l’âme. La lumière devient presque un révélateur psychanalytique, oscillant entre chaleur étouffante et clarté révélatrice.
9. Pourquoi le tournage a-t-il été si difficile ?
À cause des températures extrêmes, d’un incendie sur un décor, et des contraintes de planning des actrices internationales.
Pour aller plus loin… Tourné dans des conditions éprouvantes, le film porte en lui cette tension réelle, palpable à l’écran. Une énergie de survie collective s’est transmise aux comédiens, renforçant l’authenticité et la rudesse du propos.
10. Quelle réception attendre de ce film ?
Le film divise, dérange, interroge — il pousse à réfléchir sur les liens familiaux, le corps féminin et l’illusion de la liberté.
Pour aller plus loin… Il ne cherche pas à séduire, mais à remuer, à faire parler les douleurs muettes. Cette ambivalence assumée en fait une œuvre à part, qui laisse son empreinte longtemps après la projection.
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Une réflexion sur “Hot Milk – Quand les silences brûlent davantage que les mots”