Les maudites, Pedro Martín-Calero nous emporte dans un thriller horrifique


Avec Les Maudites, Pedro Martín-Calero signe un film d’horreur aussi viscéral qu’élégant, où la malédiction héréditaire trouve un nouveau souffle. Ici, pas de spectres sortis d’un vieux manoir décrépit, mais des maux ancrés dans la chair et le sang de plusieurs générations de femmes. Une histoire portée par un casting féminin à la hauteur des enjeux : Ester Expósito brille, mais ce sont Mathilde Ollivier et Malena Villa qui créent la vraie surprise, imposant une intensité dramatique rare. Entre modernité technologique et terreur ancestrale, ce récit explore ces douleurs que l’on transmet en silence, et qui finissent toujours par resurgir.

Pedro Martín-Calero nous offre un bon film efficace avec une malédiction héréditaire au sein d​’une lignée de sang de plusieurs femmes.

Qui dit un film axé autour de femmes, dit casting à la hauteur. La tête d’affiche Ester Exposito arrive à proposer une belle partition d’émotion, mais la grande surprise reste le duo fracassant composé de Mathilde Ollivier et de Malena Villa. L’une française, une actrice française émergente et la seconde artiste, chanteuse Argentine.

Aux origines du mal touchant les femmes

Il y a, derrière Les Maudites, ce désir d’explorer la peur avec une sincérité presque clinique, sans jamais la travestir derrière des artifices éculés. Pedro Martín-Calero et Isabel Peña ont choisi ce thème parce qu’il résonne avec une douleur universelle : celle des femmes, souvent premières victimes d’une violence qui ne dit pas son nom. Cette malédiction, c’est celle d’une société encore engluée dans ses archaïsmes, où les souffrances se transmettent comme un héritage empoisonné. Ici, le mal n’a pas besoin de grandiloquence : il s’insinue dans la banalité du quotidien, dans ces lieux anodins où l’on baisse trop souvent les yeux. Ce choix n’est pas anodin, il est le reflet d’une époque qui maquille encore ses horreurs derrière des façades bien rangées.

Les Maudites © Paname
Les Maudites © Paname

Le processus créatif a suivi cette ligne de tension, entre l’intime et l’universel. Pedro a refusé la facilité du “jump scare” et des monstres tapageurs. Avec Isabel Peña, il a préféré forger trois personnages féminins riches, vivants, au cœur même du récit.. Andrea, Camila et Marie ne sont pas des silhouettes décoratives mais bien le pouls du film, chacune traversant cette frontière floue entre l’affirmation de soi et la perte totale de repères. La narration, déstructurée comme un mauvais rêve, épouse cette idée : l’horreur ne prévient pas, elle surgit sans crier gare, exactement comme ces moments de la vie où tout bascule sans qu’on sache pourquoi. Le cinéma ici devient cauchemar éveillé, un labyrinthe où les spectateurs, tout comme les héroïnes, avancent à tâtons.

Quant aux thèmes abordés, ils frappent là où ça fait mal : la violence structurelle, la transmission intergénérationnelle du traumatisme, et cette douloureuse quête d’identité dans un monde qui préfère enfermer plutôt que comprendre. Les technologies modernes, loin de nous protéger, deviennent des vecteurs de cette angoisse sourde – les AirPods remplaçant les vieilles bandes magnétiques pour faire résonner le cri du Mal. Au fond, Les Maudites ne racontent pas seulement une histoire de fantômes ; elles dévoilent surtout ces spectres bien réels, tapis dans les recoins de notre époque, et qui, à force de ne pas être regardés en face, finissent toujours par réclamer leur dû.

Les Maudites © Paname
Les Maudites © Paname

Un invisible pourchassant sa victime

L’intrigue reprend un peu l’idée d’un épisode de Supernatural où pour voir les fantômes et démon​s,  on doit utiliser une caméra.​ Ce procédé permet de reposer sur l’idée que la réalité est composée de plusieurs couches et l’invisible reste immense à nos yeux, ce qu’on ne peut voir est donc encore plus effrayant, car il peut être partout.

Ce qui nous perturbe cependant, c’est l’absence d’explication de l’origine de ce phénomène de hantise. Et on reste donc sur un flou total dans la mythologie de l’œuvre, comme pour étendre le sujet à une forme d’universalité silencieuse. On sent avec la fin ouverte que le film débouchera selon le succès à une suite. Du moins, on l’espère ! 

Les Maudites, ce film ne se contente pas de faire peur : il dérange, il questionne, et surtout, il reste. Comme ce cri étouffé qui résonne bien après le générique de fin, il nous rappelle que les fantômes les plus redoutables ne sont pas ceux que l’on voit, mais ceux que l’on refuse de regarder. En jouant sur l’absence d’explication et la brutalité des apparitions, Pedro Martín-Calero laisse la porte ouverte à nos propres interprétations. Un film qui agit comme une malédiction moderne : il s’infiltre dans nos pensées et refuse d’en sortir. Et si cette fin ouverte cachait, en réalité, le début d’une nouvelle ère pour le cinéma d’horreur féminin ?

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Note : 5 sur 5.

21 mai 2025 en salle | 1h 47min | Epouvante-horreur, Thriller
De Pedro Martín-Calero | 
Par Isabel Peña, Pedro Martín-Calero
Avec Ester Expósito, Mathilde Ollivier, Malena Villa
Titre original El llanto


Pour aller plus loin sur Les Maudites

Pourquoi le film adopte-t-il une narration déstructurée proche du cauchemar ?

Pedro Martín-Calero s’inspire des théories de Walter Murch, pour qui le langage du cinéma est intimement lié à celui des rêves. Le réalisateur pousse cette idée jusqu’à créer une « zone temporelle de cauchemar », où passé et présent se confondent, rendant l’histoire imprévisible et instable, comme dans nos pires songes.

Quelle est la particularité de l’ambiance sonore du film ?

La bande originale, signée Olivier Arson, est centrée sur l’utilisation de la voix humaine. Inspirée de l’essai L’Inquiétante Étrangeté de Freud, elle crée un malaise en transformant de simples murmures en un gémissement omniprésent. Un chœur de six voix a été utilisé pour renforcer cette atmosphère oppressante, à la limite de l’audible et du subconscient.

Comment le film renouvelle-t-il l’imagerie de la maison hantée ?

Exit les manoirs gothiques et lugubres. Ici, la maison hantée est un simple immeuble d’appartements banal et contemporain. Un lieu ordinaire, où pourrait habiter n’importe qui. Ce choix volontaire ancre l’horreur dans notre réalité quotidienne, là où, précisément, on s’y attend le moins.

Quelle est la symbolique de l’utilisation des technologies modernes dans le film ?

Pedro Martín-Calero utilise les outils de notre quotidien (AirPods, WhatsApp, Google Maps, caméras de sécurité) pour faire surgir l’horreur dans les espaces les plus intimes. La technologie devient un relais du surnaturel, rappelant que le mal, aujourd’hui, s’infiltre même dans nos objets connectés.

Le film s’inspire-t-il de souvenirs personnels du réalisateur ?

Oui, notamment pour la partie se déroulant en 1998 en Argentine. Pedro Martín-Calero évoque ses propres souvenirs d’adolescence, à une époque sans smartphones ni réseaux sociaux. Une période où tout semblait plus réel, plus brut, et où les dangers comme les émotions se vivaient pleinement, sans filtre numérique.

Pour aller plus loin dans le cinéma de genre – Ces fantômes visibles à travers un objectif ou un écran

Dans l’univers du cinéma, l’idée de percevoir des fantômes ou des esprits à travers une caméra vidéo ou un appareil photo s’impose comme un trope intrigant, un mariage subtil entre le surnaturel et la technologie. De nombreux films et séries ont exploré cette thématique, jouant habilement sur l’idée que ces instruments peuvent capter ce qui échappe à l’œil humain. Voici quelques œuvres incontournables qui l’ont magistralement abordée :

« The Ring » (2002) – Réalisé par Gore Verbinski

Ce film d’horreur se centre sur une cassette vidéo maudite, où les images projetées contiennent des phénomènes paranormaux. Ceux qui la visionnent sont condamnés à une mort certaine après sept jours. Bien que la cassette soit l’objet principal, la question de « l’image révélant l’invisible » s’invite subtilement dans la réflexion sur l’utilisation des dispositifs visuels pour voir l’invisible.

« Shutter » (2004) – Réalisé par Banjong Pisanthanakun et Parkpoom Wongpoom

Ce thriller thaïlandais joue sur l’idée que les photographies peuvent capturer des fantômes. Les personnages découvrent dans leurs clichés des silhouettes spectrales, qui vont progressivement les hanter. Cette exploration des photos « paranormales » est traitée de manière particulièrement poignante et dérangeante.

« The Others » (2001) – Réalisé par Alejandro Amenábar

Même si le film ne s’attarde pas sur l’utilisation de caméras ou de photos pour voir les fantômes, il cultive l’idée que les apparitions et les phénomènes surnaturels sont souvent invisibles, mais peuvent être perçus à travers certains médiums ou sensibilités. L’atmosphère de tension qui se dégage du film interroge constamment la réalité, floutant les frontières entre le tangible et l’invisible.

« Paranormal Activity » (2007) – Réalisé par Oren Peli

Ce classique moderne du genre found footage fait appel à des caméras vidéo pour enregistrer des événements paranormaux. Grâce aux enregistrements de caméras de sécurité et de caméras portatives, les protagonistes captent des phénomènes invisibles à l’œil nu : bruits étranges et apparitions fantomatiques. La vidéo devient ainsi le moyen de révéler ce qui échappe à notre perception.

« White Noise » (2005) – Réalisé par Geoffrey Sax

Ici, le film s’intéresse aux « electronic voice phenomena » (EVP), ces voix spectrales captées par des appareils électroniques, tels que des enregistreurs audio ou des caméras vidéo. Le protagoniste utilise ces technologies pour tenter de communiquer avec les esprits, rendant tangible l’invisible à travers des sons et des images capturés par la machine.

« Ghostwatch » (1992) – Réalisé par Lesley Manning

Ce téléfilm britannique se distingue par son utilisation des caméras et de la technologie pour donner l’illusion que les fantômes sont capturés en direct. Présenté comme un faux reportage, « Ghostwatch » montre comment les caméras de télévision peuvent être le véhicule d’une expérience paranormale en temps réel.

L’utilisation des caméras vidéo ou de la photographie pour dévoiler des phénomènes invisibles aux yeux humains se transforme en un moyen fascinant de rendre tangibles l’invisible et l’intangible. Ces dispositifs électroniques, censés être des témoins de notre quotidien, deviennent des vecteurs du paranormal, floutant la frontière entre les vivants et les esprits.


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