Un thriller immersif en caméra subjective, entre dérive adolescente et spirale criminelle, porté par un casting troublant et une mise en scène inspirée.
Giovanni Aloi signe avec Le Domaine un deuxième long-métrage en clair-obscur, dans la lignée de La Troisième Guerre. Il explore ici les méandres d’un esprit jeune et désabusé, happé par un monde qui le dépasse. Un film noir contemporain, qui tient autant du récit initiatique que de l’autopsie psychologique.
La descente d’un regard
Tout repose sur les épaules de Damien, interprété par un Félix Lefebvre plus vulnérable que jamais. Étudiant fauché, il accepte un poste dans un relais de chasse qui dissimule des activités mafieuses de bas étage. La caméra épouse son regard, ses hésitations, ses fantasmes. Le spectateur devient complice de sa chute. À mesure que Damien s’enlise, la mise en scène se trouble, les souvenirs deviennent flous, et la réalité vacille. La photographie — remarquable, notamment dans les scènes nocturnes en voiture — devient un terrain mouvant, sculpté au rythme de la mémoire. Le film flirte avec le clip, ose des effets visuels et chromatiques qui traduisent la confusion mentale du héros. Le style n’est jamais gratuit : tout part de l’intérieur du personnage.

Jeunesse soumise et violence feutrée
Le Domaine raconte, au fond, l’histoire d’un garçon qui ne sait pas dire non. Incapable de poser des limites, il se laisse porter — ou dévorer — par l’autorité des autres : les mafieux, les figures féminines, les situations. La voix off, très présente, ajoute une distance troublante. Elle fragilise l’identification et donne au film un parfum rétro, littéraire, presque désuet. Le jeu d’acteur volontairement détaché, revendiqué comme moderne, déconcerte. Il crée un écart entre la gravité des faits et la froideur des émotions. C’est un pari audacieux, mais qui pourra freiner l’adhésion du spectateur, malgré des prestations fortes — Patrick d’Assumçao glaçant, Lola Le Lann magnétique, Victoria Eber mystérieuse.
À l’origine : la Tuerie de Belhade
Inspiré librement d’un fait divers réel (la Tuerie de Belhade en 1985), le film transpose cette histoire dans un Saint-Nazaire crépusculaire. Giovanni Aloi ne cherche pas à coller à la vérité, mais à recréer la psyché d’un jeune homme abîmé par le vide. Le projet prend racine dans l’idée d’une jeunesse sans boussole, attirée par l’argent et les illusions de puissance. Le réalisateur cite Dostoïevski, Melville ou encore Scorsese, mais c’est surtout dans le regard et l’errance intérieure de Damien que se joue cette tragédie contemporaine.
Notre avis – Un vertige hypnotique mais fragile
Le Domaine est un film sensoriel, intime, hanté par le désespoir d’une génération. Il déconcerte autant qu’il fascine, et son étrangeté le rend inclassable. Une proposition forte, mais pas toujours accessible. Un récit initiatique sombre, mais qui souffre d’un jeu d’acteur global trop dans le détachement, venant casser le naturel du jeu. C’est troublant. Et l’ambiance générale + la voix off n’aide pas à adhérer pleinement.
Offrant un tourbillon émotionnel, un thriller à la première personne qui plait autant qu’il dérange ! Le film est une succession de séquences où Damien (Félix Lefebvre), ne sachant pas dire non, va vivre la soumission librement consentie face à l’autorité établie, allant jusqu’à commettre l’irréparable.

Un casting de qualité : FÉLIX LEFEBVRE, écorché vif à fleur de peau, Patrick d’Assumçao terrifiant, Lola Le Lann féline, ou encore la discrète Victoria Eber. Un film magnifié par le côté esthétique : la photographie est remarquable, surtout dans les scènes en voiture de nuit. Une ambiance étrange. Ce qui est étrange, c’est qu’on démarre en parlant de la copine de fac, Farah (Victoria Eber), puis on tombe dans une fascination pour cette autre fille, Célia (Lola Le Lann). En quelque mots, ce film joue sur l’opposition des défauts et des qualités d’un cinéma se voulant à la fois d’auteur et populaire. Le fait d’essayer de concilier offre une hybridation trop brutale.
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14 mai 2025 en salle | 1h 31min | Thriller
De Giovanni Aloi |
Par Dominique Baumard, Giovanni Aloi
Avec Félix Lefebvre, Patrick d’Assumçao, Raphaël Thiéry
En savoir plus sur Le Domaine de Giovanni Aloi
1. Le film est-il une reconstitution fidèle du fait divers de la Tuerie de Belhade ?
Non. Le réalisateur Giovanni Aloi et son co-scénariste Dominique Baumard ont délibérément choisi de ne pas s’attacher aux détails du fait divers. Le but était de s’inspirer de l’ambiance, du cadre provincial et du drame humain pour raconter une histoire autonome, transposée à Saint-Nazaire et ancrée dans le présent.
2. Pourquoi avoir utilisé une voix off aussi présente dans la narration ?
Giovanni Aloi revendique une utilisation presque littéraire de la voix off, qu’il affectionne pour sa capacité à plonger le spectateur dans la psyché du personnage principal. Elle joue ici le rôle d’un récit postérieur, comme une tentative de cicatrisation mentale, que Damien aurait construite durant un temps passé en prison.
3. Quelles sont les principales influences artistiques du réalisateur ?
Le film est nourri d’influences multiples : “Crimes et châtiments” de Dostoïevski pour les thèmes de culpabilité, Le Samouraï de Melville pour l’atmosphère, Sidney Lumet pour la structure temporelle (7h58 ce samedi-là), et un clin d’œil à Tarkovski, notamment dans l’usage du travelling et de la lumière comme sculpteurs du souvenir.
4. Quel rôle joue la lumière dans la mise en scène du film ?
La lumière est un outil narratif à part entière. Chaque lieu possède sa propre palette chromatique, en lien avec les souvenirs de Damien : néons roses, phares blancs, forêts repeintes par le paintball… Les couleurs traduisent l’état mental du protagoniste, entre réalité déformée et perception émotionnelle.
5. Comment Félix Lefebvre a-t-il été dirigé pour le rôle de Damien ?
Giovanni Aloi a immédiatement été séduit par l’intelligence et la curiosité de Félix Lefebvre lors du casting. Le comédien est arrivé avec un cahier de notes et a nourri le personnage par de nombreuses suggestions personnelles. Il a même été surnommé « le Professeur » sur le plateau tant son implication était minutieuse et studieuse.
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Une réflexion sur “Le Domaine – Dérive sous emprise et vertige des souvenirs”