Quand t’es Réunionnais, tu passes ta vie à subir le racisme de base : « Tu peux pas comprendre, t’es pas Français ! ». Alors qu’on se sent français bien plus que certains, car on a vécu le choc de l’histoire entre le racisme, les agressions, l’imposition d’une langue et l’esclavagisme.
On se bat contre l’inculture « T’es antillais toi », Non, j’suis Réunionnais, les Antilles sont à l’autre bout du globe !
Un combat pour la Culture
Quand t’es Réunionnais, tu passes ta vie à encaisser les remarques. Pas les grandes insultes frontales, non — le racisme de base, le bien ancré, celui qui s’ignore lui-même. Celui qui commence par un sourire gêné et finit par un « Tu peux pas comprendre, t’es pas Français ».
Et pourtant, je suis Français. Peut-être même plus que toi. Parce que l’histoire, moi, je l’ai dans la peau. Parce qu’être né dans une île marquée par l’esclavage, la colonisation, le métissage forcé, c’est grandir avec un bagage que beaucoup oublient ici. Chez nous, la République, c’est pas un concept abstrait. C’est un combat quotidien pour exister à égalité.
Et puis il y a l’inculture. Le folklore réducteur. Le « T’es antillais toi, non ? » lancé comme un réflexe, sans réflexion. Alors non, je ne suis pas antillais. La Réunion, c’est dans l’océan Indien, à 9 000 kilomètres de la Guadeloupe. On n’a ni les mêmes histoires, ni les mêmes rythmes, ni les mêmes blessures. Mais dans les têtes, on est tous dans le même panier tropical.
On est à la croisée des mondes. On parle français, créole, on écoute du maloya, du kabar, du séga, et on porte en nous les traces de plusieurs continents. Et si ça te dépasse, c’est pas moi le problème.
Être Réunionnais, c’est devoir rappeler encore et encore qu’on n’est pas une option exotique de la France. On est la France. Celle qui a payé cher son appartenance, mais qui continue à croire, malgré tout, à cette promesse d’égalité.
Alors non, je ne laisserai plus passer ces phrases à deux balles. Parce que ma fierté, elle est née dans le feu, dans les champs de cannes et sur les hauteurs. Elle vaut bien ton ignorance.
Une vaste zone géographique à enseigner
Moi, je me bats pour la francophonie. Pas seulement pour la langue, mais pour tout ce qu’elle représente : une mémoire, un héritage, une manière de voir le monde. Je l’ai vraiment découverte en 2016, comme un territoire invisible dont on parle trop peu en métropole. Depuis, je défends ce patrimoine vivant — celui de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Canada francophone, des Cajuns de Louisiane… Bref, tous ces bastions de résistance linguistique. Parce que oui, les derniers à se battre sont souvent ceux qui ont peur de perdre leur langue. En France, on a encore l’illusion que tout ça est acquis. Mais au Québec, en Wallonie, en Suisse romande, c’est un combat quotidien pour ne pas se laisser effacer.
Ce combat, on l’oublie trop souvent dans les Outre-mer. On réduit encore les créoles à un folklore sonore sans prendre le temps de comprendre leurs racines. On pense d’abord au créole antillais, parce qu’il a su, et pu, être mieux défendu médiatiquement et culturellement. Mais qu’en est-il du créole des Mascareignes ? De celui de la Réunion, de Maurice, de Rodrigues, de Madagascar, des Comores, ou même des Seychelles ? Ces îles de l’océan Indien, riches de mélanges et d’histoires croisées, ont vu naître des langues créoles profondes, porteuses d’une culture, d’une dignité, et d’un rapport à la France qui mérite bien plus de reconnaissance.
Ce que je défends, ce n’est pas une langue figée, c’est une pluralité vivante. Une francophonie qui ne se limite pas à Paris ou Montréal, mais qui vit dans les voix des pêcheurs de Terre-Neuve, des mamies réunionnaises, des institutrices vaudoises et des poètes guyanais. Défendre ces voix-là, c’est défendre l’unité dans la diversité. C’est rappeler que la langue française ne brille vraiment que lorsqu’elle accepte toutes ses lumières.
Les situations régulières vécues
J’ai l’impression d’être un étranger dans mon propre pays.
À la mairie, venu chercher un formulaire : « Non ici, les papiers et services admin sont pour les Français… »
Il y a des jours où l’ennui devient pesant. Pas l’ennui de la routine, non, mais celui qui naît de l’usure, de la répétition, du sentiment d’injustice banalisée. Ce que je ressens, c’est une forme de faiblesse devant un système qui ne forme pas, ou si peu, ses agents à la diversité réelle de notre pays. Et à force, on se lasse. Pas de notre identité, non — elle, elle tient bon. Mais de devoir la réexpliquer sans cesse, comme si elle était illégitime, comme si elle avait à prouver sa place dans la République. On se sent seul face à un État qui semble avoir oublié que la France, ce n’est pas qu’un hexagone. Et que le lien ne suffit pas à être respecté, il faut aussi être compris.
Un jour banal, juste venu chercher un formulaire. L’agent me regarde, hésite, puis finit par dire :
« Non ici, les papiers et services admin sont pour les Français… »
Je suis resté silencieux une seconde. Mon accent était pourtant bien celui de la République.
Le prof d’histoire : « Julien, passe de bonnes vacances aux Antilles avec ta famille à la Réunion »
Un autre jour, au collège, le professeur d’histoire, avec toute la bonhomie du monde :
« Julien, passe de bonnes vacances aux Antilles avec ta famille à la Réunion ! »
Encore une fois, les Antilles, toujours les Antilles. Comme si notre île n’existait pas seule. Comme si tous les Outre-mer parlaient d’une même voix, mangeaient la même cuisine et dansaient sur les mêmes tambours.
Le policier pendant un contrôle : « Vous êtes bien loin du 93…. » Moi : « Saint-Denis de la Réunion, Monsieur, pas Seine-Saint-Denis… »
Et puis ce contrôle de police, pas méchant, mais chargé de sous-entendus :
« Vous êtes bien loin du 93… »
Moi, calmement :
« Saint-Denis de la Réunion, Monsieur. Pas Seine-Saint-Denis. »
Il n’a pas relevé. Peut-être n’a-t-il même pas compris.
Face aux remarques récurrentes et aux discriminations du quotidien, mon identité réunionnaise se fait à la fois le reflet d’un passé douloureux et le gage d’un futur riche de diversité. Vivre en tant que Réunionnais, c’est porter en soi la mémoire d’un passé marqué par l’esclavage, la colonisation et le métissage, tout en affirmant avec fierté une culture singulière. C’est aussi et surtout résister aux préjugés administratifs, scolaires et policiers qui tentent de réduire notre identité à des clichés. Ce combat, c’est celui pour la reconnaissance d’une francophonie plurielle où chaque voix, qu’elle soit de la Réunion, des Antilles ou des Mascareignes, mérite respect et valorisation. En affirmant notre singularité, nous réclamons l’égalité et rappelons que la France se construit aussi par la force de ses différences.
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