Les Linceuls, David Cronenberg joue avec les codes et les névroses de son univers


Avec Les Linceuls, David Cronenberg nous propose bien plus qu’un simple détour par son univers traditionnellement lié au body horror. Ici, l’auteur canadien s’engage sur une voie profondément introspective, au croisement du deuil, de la technologie et des mirages du corps. S’appuyant sur son propre vécu — la perte de son épouse —, il bâtit un récit où la chair devient mémoire, où le corps, au lieu de disparaître, s’affiche dans toute sa décomposition numérique. À travers l’histoire de Karsh, interprété par Vincent Cassel, l’œuvre pose un regard acéré sur nos obsessions, nos fantômes intérieurs, et sur cette soif de contrôle que la mort, inexorable, vient mettre en échec. Avec un casting choisi comme une orfèvrerie (Diane Kruger et Guy Pearce complètent l’affiche), Les Linceuls s’inscrit résolument dans la tradition européenne du cinéma d’auteur, revendiquée ici avec la minutie d’un artisan du sensible.


Avec Les Linceuls, David Cronenberg délaisse le body horror classique pour explorer une méditation funèbre sur le corps, le deuil et la possession. Lent, hypnotique et profondément mélancolique, son film plonge dans les névroses humaines avec une finesse clinique. Porté par Vincent Cassel et Diane Kruger, il confirme son statut d’auteur européen, sculptant une œuvre organique où l’obsession du corps devient la dernière trace d’amour.


La métaphysique du corps selon Cronenberg

Très vite, on comprend que Les Linceuls n’est pas un film d’horreur au sens spectaculaire du terme. Loin de jouer sur les ressorts classiques du frisson, Cronenberg nous plonge dans un questionnement viscéral : celui du corps, devenu objet de désir, de deuil, et parfois de possession maladive. L’horreur, ici, est plus sourde, plus insidieuse. Elle naît de la névrose de Karsh, embourbé dans une quête aussi désespérée que troublante pour ne pas lâcher le corps de son épouse, et, par extension, celui de toutes les femmes qui viennent effleurer son existence.

Le film avance lentement, presque à tâtons, dessinant peu à peu un labyrinthe mental où rêves, souvenirs, et pulsions s’entrelacent sans que jamais une véritable direction n’émerge. Comme Karsh, nous avons cette impression constante de marcher sur du sable mouvant, pris entre le besoin d’avancer et l’impossibilité d’échapper à une emprise intérieure. Ce rythme volontairement étiré, presque hypnotique, accentue le caractère organique du film : ici, tout respire, suppure et se décompose à vue d’œil.

Les linceuls © Pyramide Distribution
Les linceuls © Pyramide Distribution

Cronenberg poursuit son exploration du corps comme ultime réalité tangible, mais en y ajoutant cette fois une réflexion poignante sur l’impossible acceptation de la perte. Le « linceul digital » inventé par son personnage devient ainsi une métaphore du cinéma lui-même — cette machine à produire des fantômes, à conserver les traces de ce qui n’est plus. Quant au léger parfum de complotisme qui plane sur l’intrigue, il vient rappeler, avec une ironie froide, notre besoin insatiable de trouver un coupable à l’inexplicable.

Enfin, difficile de ne pas souligner combien la direction d’acteurs contribue à l’étrangeté feutrée du film. Diane Kruger, démultipliée en trois figures féminines, offre une partition troublante, à la fois charnelle et spectrale. Vincent Cassel, quant à lui, livre un Karsh rongé jusqu’à l’os, littéralement en train de se consumer sous nos yeux.


Les Linceuls s’impose comme une œuvre crépusculaire, mélancolique, où David Cronenberg transcende ses obsessions habituelles pour offrir un film d’une profonde humanité, fût-elle torturée. Nous ressortons de cette expérience flottante, presque hagarde, troublés par ce miroir tendu vers notre propre rapport au corps, au deuil, et à cette irrépressible envie d’immortaliser ce qui nous échappe. Si l’on attendait peut-être davantage de body horror au sens strict, c’est pour mieux être surpris par une œuvre envoûtante, qui confirme Cronenberg dans son rôle d’auteur, au sens noble du terme : un sculpteur de l’invisible, un poète des chairs perdues.

Les linceuls © Pyramide Distribution
Les linceuls © Pyramide Distribution

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Note : 3 sur 5.

30 avril 2025 en salle | 2h 00min | Drame, Science Fiction, Thriller
De David Cronenberg | 
Par David Cronenberg
Avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce
Titre original The Shrouds


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