Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé : Quand Bogdan Mureșanu orchestre la révolution avec ironie et humanité


Avec Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, Bogdan Mureşanu revisite avec une ironie tragi-comique un pan décisif de l’histoire roumaine : la chute du régime Ceaușescu. Le cinéaste, nourri par son appétit d’Histoire et une mémoire d’enfant témoin de cette révolution, propose un kaléidoscope humain où l’absurde et l’espoir s’entrelacent. En adoptant une structure chorale, portée par la montée inexorable du Boléro de Ravel et un réalisme à la Dogme danois, Bogdan Mureşanu orchestre, tel un chef d’orchestre discret, mais implacable, une fresque au format 4:3 étouffant, capturant l’instant suspendu entre servitude et liberté naissante. Le film ne prétend pas réécrire l’Histoire ; il invite à revivre ce basculement, dans toute son humanité brute, à hauteur d’homme.

Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé : Bogdan Mureșanu, entre humour noir et mémoire révolutionnaire

À travers une fresque chorale d’une précision virtuose, Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé plonge au cœur de la révolution roumaine. Bogdan Mureșanu signe un premier long métrage subtil et vibrant, mêlant ironie, émotion et mémoire collective.

Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé: Adrian Văncică © Memento Distribution
Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé: Adrian Văncică © Memento Distribution

Le film traite avec humour et noirceur le soulèvement du peuple Roumain et la chute de Ceaușescu.
Le choix d’utiliser le format choral permet d’offrir une vision plus globale de ce tournant historique. On soulignera certains passages qui se répètent pour essayer d’obtenir quelque chose qui ne semble jamais fonctionner. Le tout sur le fond musical du Boléro de Ravel, soulignant le côté absurde de ces officiels préparant obstinément les festivités du Nouvel An, sans voir les tensions sociales.

On saluera le travail de la photographie et colorimétrie permettant de calquer la fiction à des images d’archives. Certaines comme le discours à la télé sont même utilisées en scène post générique, offrant l’occasion de reliée la reconstitution à la réalité historique.

Le montage fluide et les références au Dogme danois créent une immersion documentaire, tandis que l’utilisation du *Boléro* de Ravel et d’archives d’époque sublime le climax.

Un film à voir plusieurs fois pour mieux saisir le message derrière chacune des séquences, un appel à la prise de conscience, un appel à la vigilance démocratique. Bogdan Mureşanu entrelace ironiquement les espoirs individuels et les mécanismes oppressifs du régime dans une structure chorale complexe, où chaque détail comme le choix du format 4:3 étouffant, les dialogues aux fausses apparences anodines, révèlent progressivement l’urgence de résister à l’oubli des manipulations politiques

Pourquoi ce film a quelque chose d’ironique et troublant à la fois ?

Bogdan Mureşanu tel un chef d’orchestre, offre une mise en scène virtuose, mêlant humour noir et tension historique avec une précision chirurgicale. Son choix du format 4:3 enferme les personnages dans un cadre étouffant, métaphore visuelle de l’oppression du régime Ceaușescu, avant l’élargissement libérateur à l’écran large lors de la révolution.

Un casting juste et prenant

Le casting (Mihai Călin, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin) incarne avec justesse cette humanité prise au piège entre paranoïa et absurde bureaucratique. Leurs regards perdus, leurs silences éloquents traduisent l’angoisse d’une société à l’aube du chaos.

Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé : Photo Nicoleta Hâncu © Memento Distribution
Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé : Photo Nicoleta Hâncu © Memento Distribution

L’ironie réside dans cette révolution attendue comme un « feel good movie », où le spectateur connaît la fin heureuse que les personnages ignorent. Troublant, car Bogdan Mureşanu rappelle que la liberté s’accompagne de violences et de désillusions, même s’il choisit de figer l’histoire dans l’euphorie de l’instant révolutionnaire. Un équilibre périlleux entre farce tragique et devoir de mémoire.

Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé frappe autant par sa forme que par son fond : un puzzle émouvant où l’absurde bureaucratique le dispute à la ferveur révolutionnaire. Avec une précision quasi chirurgicale, Bogdan Mureşanu cisèle un film où chaque regard, chaque silence compte, et où l’humour noir sert d’antidote à l’oubli. Entre éclats de rire amers et étincelles d’espoir, ce premier long métrage s’impose comme un appel vibrant à la mémoire collective, une invitation à ne jamais baisser la garde face aux séductions insidieuses du pouvoir. Un film qui, sous son apparente légèreté, laisse une empreinte durable, à l’image des révolutions dont il célèbre la fragile intensité.

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Note : 3.5 sur 5.

30 avril 2025 en salle | 2h 18min | Comédie dramatique
De Bogdan Mureşanu | 
Par Bogdan Mureşanu
Avec Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin
Titre original Anul Nou Care N-A Fost

Pour aller plus loin avec Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé de Bogdan Mureşanu

1. Pourquoi Bogdan Mureşanu a-t-il choisi la forme du 4:3 et une caméra portée pour son film ?
Le réalisateur adopte le format 4:3 pour enfermer visuellement ses personnages, métaphore de l’oppression généralisée sous le régime Ceaușescu. La caméra portée, quant à elle, renforce l’impression de documentaire vécu, accentuant l’atmosphère de paranoïa et d’urgence propre aux sociétés sous surveillance. Une esthétique librement inspirée du Dogme danois, mais sans excès dogmatique, précise Bogdan Mureşanu dans un sourire.

2. Comment la narration chorale du film évite-t-elle l’écueil de la confusion ?
Bogdan Mureşanu a construit Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé comme une symphonie minutieuse : après avoir introduit clairement six personnages principaux, il tisse leurs trajectoires avec soin pour maintenir la lisibilité. Chaque parcours s’entrelace sans jamais se perdre dans l’anecdotique, conservant une tension constante qui culmine lors du moment historique où Ceaușescu est publiquement hué. Un choix d’écriture exigeant, porté par un montage précis et un sens aigu de la progression émotionnelle.

3. Quelle est l’importance historique de l’émission de télévision autour de laquelle gravite l’intrigue ?
Le film s’articule autour d’une émission du Nouvel An commandée par le régime, jamais diffusée car interrompue par l’effondrement du pouvoir. Cette émission devient un symbole kafkaïen de déni officiel face à l’effondrement imminent, un moment suspendu où le spectacle tente d’occulter la révolution en marche, avec une ironie glaçante.

4. Quel a été le défi principal du tournage en matière de décors et de reconstitution historique ?
Dans le Bucarest contemporain, rares sont les lieux inchangés depuis 1989. L’équipe a donc reconstitué avec minutie l’intérieur d’un studio de télévision d’époque, allant jusqu’à fabriquer de faux équipements audiovisuels à l’aide d’une imprimante 3D. Une exigence qui participe à l’illusion d’assister, non à une fiction, mais à un documentaire pris sur le vif.

5. Quelle lecture plus large Bogdan Mureşanu propose-t-il sur l’après-révolution ?
Au-delà de l’instant euphorique capturé à l’écran, le réalisateur pointe en creux une amertume : la « nouvelle » classe politique émergée après Ceaușescu s’est souvent révélée être celle de ses anciens proches, récupérant à son profit les promesses d’une liberté tant attendue. Ainsi, le film, tout en célébrant l’élan révolutionnaire, rappelle discrètement que l’histoire ne s’arrête jamais aux scènes de liesse.


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