La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel – Un enfant caché, une femme libre : Mélanie Thierry face à la guerre


Il y a des films qui ne racontent pas simplement une histoire, mais qui en ressuscitent les échos, les silences, les empreintes laissées dans la chair du monde. La Chambre de Mariana est de ceux-là. Emmanuel Finkiel filme ici la guerre non pas à travers le fracas des armes, mais par le prisme de ceux qui survivent en silence. Une vie dans une cache, pour fuir les nazis. Un enfant juif, bourgeois, fils à sa mère, dissimulé dans une armoire, convaincu qu’elle le suivra partout. Ce lien invisible, indestructible, c’est ce qu’on appelle l’attachement. Mariana, prostituée ukrainienne, en devient la gardienne. Mélanie Thierry, elle, en incarne l’âme — et livre une performance rare. Le temps passe sans nous, dit le film, et c’est un enfant qui nous le montre : témoin invisible de l’Histoire de son pays, de la disparition des siens, et d’une transformation intérieure qui le fera passer brutalement du côté des adultes.

Une performance à couper le souffle : Mélanie Thierry, en immersion totale

Dans La Chambre de Mariana, Emmanuel Finkiel retrouve Mélanie Thierry pour une partition vertigineuse. Adapté du roman d’Aharon Appelfeld, le film offre à l’actrice l’un de ses rôles les plus forts, les plus déroutants aussi. Elle y incarne Mariana, prostituée ukrainienne chargée de cacher un enfant juif pendant la Seconde Guerre mondiale. Un rôle de l’ombre, de la chair et des silences.

Mélanie Thierry est au sommet de son art ! Pour atteindre cette vérité nue, l’actrice s’est lancée dans une préparation de deux ans. Elle a appris l’ukrainien. Oui, appris. Pas pour faire illusion, non. Pour habiter cette langue, la laisser résonner dans son corps, jusqu’à la respirer. Elle a travaillé avec des coachs, suivi des stages chez Tomatis, spécialiste de l’écoute, pour que chaque mot devienne organique. Le réalisateur le dit lui-même : elle ne joue pas, elle incarne. Dans sa voix, ses gestes, ses rires, ses sanglots — tout change selon la langue. Ce n’est pas de l’artifice. C’est du vécu. Du viscéral. Et c’est bouleversant. Mariana devient un personnage à plusieurs visages : fantasque, solaire, brisée… une lumière en pleine nuit.

La Chambre de Mariana: Mélanie Thierry | © Cinéfrance Studios - Curiosa Films - Metro Communications - United King Films - Proton Cinema - Tarantula - Arte France Cinema 2024
La Chambre de Mariana: Mélanie Thierry | © Cinéfrance Studios – Curiosa Films – Metro Communications – United King Films – Proton Cinema – Tarantula – Arte France Cinema 2024

L’enfant dans le placard : regard sur une enfance volée

Mais La Chambre de Mariana, c’est aussi – et surtout – le regard d’un enfant. Hugo. Douze ans. Caché dans un placard, suspendu aux voix qui traversent la cloison. Les bruits, les silences, les cris, les soupirs. Tout ce qu’il entend sans voir. Et pourtant, tout ce qu’il voit. Car il comprend. Trop. Trop tôt. Ce huis clos, c’est celui d’une conscience qui s’éveille à la terreur. Et d’une fascination trouble.

L’enfant bourgeois, fils à sa mère, s’imagine qu’elle le suivrait partout. Même là. Même maintenant. Ce lien, invisible, c’est ce qu’on appelle l’attachement. C’est la seule chose qui le maintient debout, alors que le monde s’effondre. Dans cette armoire, le temps passe sans lui. Et lui, il devient témoin quasi mutique. D’un monde qui s’éteint. D’une sexualité qui surgit dans la clandestinité. D’un amour ambigu, avec cette femme étrange, à la fois protectrice et perdue. L’enfance s’efface. La solitude, elle, s’impose. Et nous, spectateurs, partageons cet enfermement, cette perte, cette mue intérieure d’une intensité rare.

L’adaptation : entre mémoire et onirisme

Le film est tiré d’un roman d’Aharon Appelfeld, écrivain israélien d’origine ukrainienne, qui livrait en 2006 un récit à la croisée du réalisme et de l’onirisme. Un texte majeur sur l’enfance volée, la survie, l’exil intérieur. Emmanuel Finkiel, fidèle à son cinéma de l’empreinte, adapte avec délicatesse. Il avait déjà dirigé Mélanie Thierry dans La Douleur, autre adaptation littéraire d’une puissance sourde.

Mais ici, il pousse plus loin : il choisit de tourner en ukrainien. Alors que le roman est écrit en hébreu. Hommage discret mais essentiel à cette culture, à cette spiritualité que l’auteur portait en lui. Le film, comme un poème sombre, devient un chant d’amour aux survivants. Une relecture contemporaine, sensible, d’un texte universel.

Et dans ce duo inattendu — Mélanie Thierry et le jeune Artem Kyryk — le miracle opère. Duo remarquable, à l’alchimie fragile et brute. Elle est exceptionnelle. Lui est juste. Ensemble, ils racontent l’indicible : la guerre, l’attente, le silence, et cette façon qu’a le monde de continuer sans nous.

La Chambre de Mariana: Mélanie Thierry | © Cinéfrance Studios - Curiosa Films - Metro Communications - United King Films - Proton Cinema - Tarantula - Arte France Cinema 2024
La Chambre de Mariana: Mélanie Thierry | © Cinéfrance Studios – Curiosa Films – Metro Communications – United King Films – Proton Cinema – Tarantula – Arte France Cinema 2024

En refermant La Chambre de Mariana, il ne reste ni réponse, ni apaisement. Juste un silence. Celui d’un enfant devenu homme, d’un amour meurtri, d’une langue apprise pour survivre. Le film laisse une empreinte discrète, mais profonde, comme ces souvenirs qu’on ne raconte pas, parce qu’ils brûlent encore. Mélanie Thierry y est bouleversante, sans jamais forcer l’émotion. Artem Kyryk, de son côté, livre une interprétation d’une justesse dérangeante. Ensemble, ils tissent ce duo remarquable, étrange et lumineux, qui donne au film son souffle. On en sort un peu différent, avec cette certitude : certaines histoires ne doivent pas être oubliées. Parce qu’elles nous rappellent que l’Histoire, elle aussi, a des témoins invisibles.

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Note : 4 sur 5.

23 avril 2025 en salle | 2h 11min | Drame, Historique
De Emmanuel Finkiel | 
Par Emmanuel Finkiel
Avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg


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