Ceci n’est pas une guerre nous plonge dans un Paris à la fois réel et décalé, vidé de sa foule, mais rempli d’échos. Un Paris en apesanteur, où la loi impose le repli et le silence. Au cœur de cette ville désertée, deux amis, Magali et Eric-John, marchent, s’interrogent, dialoguent à distance. Ils tentent de recréer du lien, là où tout semble s’être effacé. Le film mêle humour discret, poésie urbaine et émotion sincère, pour explorer les grandes questions que le confinement a rendues visibles : la solitude, la mémoire, les liens qui nous tiennent debout.
Explication du titre
Le titre Ceci n’est pas une guerre s’inscrit dans la filiation surréaliste, empruntant à Magritte son fameux Ceci n’est pas une pipe. Comme chez le peintre belge, il y a ici un jeu sur les apparences : ce n’est pas une guerre, et pourtant… on en adopte la rhétorique, les interdits, l’état d’exception. Le film vient fissurer ce discours, en montrant une réalité bien plus intime et diffuse. Une crise sanitaire, oui. Mais vécue comme une traversée intérieure, une lutte silencieuse et souvent invisible. Tout en faisant écho au discours du président annonçant le premier confinement.

Tourné à Paris pendant le premier confinement de 2020, le film documente les jours suspendus d’un monde mis à l’arrêt. Les autorités évoquaient alors une « guerre contre le COVID-19 », mais le réel, lui, ressemblait davantage à une errance contemplative qu’à une bataille. Magali Roucaut et Eric-John Bretmel captent cette tension entre le vocabulaire martial et l’étrange douceur du vide. L’ennemi est invisible, et l’arme principale devient le regard.
On aime cependant la joie et la manière dont on montre ces gens mangeant dehors en cachette ou en se cachant pour être loin des autres et respecter les espaces de sécurité. On aime la complicité du fils et du père.
Une impulsion spontanée, née du repli
Le projet naît d’un réflexe artistique, presque vital. Dès les premières semaines de confinement, Eric-John et Magali, amis de longue date, ressentent le besoin de créer, de documenter, de sublimer. Tandis qu’elle filme les rues vides, lui explore son espace intérieur et sa mémoire familiale. Leurs images se répondent comme deux voix d’un même poème, né dans l’urgence, mais pensé avec une sensibilité rare.
On entend des gens qui chantent à leur fenêtre. Des personnes à leur balcon échangent des mots. Le lien social devient précieux et comme le dit si bien l’un des protagonistes du documentaire « J’ai besoin de voir mes amis ». Oui, dans cette période étrange, se confiner seul ou avec un proche provoque un dilemme absolu : celui du couple brusquement basculé dans une perspective du vivre à deux, sans avoir eu le temps d’y réfléchir vraiment.

Écho historique
La profondeur du film tient aussi à ce qui affleure en creux : les conversations téléphoniques entre Eric-John et son père, rescapé de la Seconde Guerre mondiale. Là, un autre récit surgit. Celui des cachettes, des peurs, des silences d’après. Le confinement réveille chez le père des souvenirs longtemps enfouis, et chez le fils une écoute nouvelle. Entre deux époques, un pont fragile se tisse, un dialogue transgénérationnel sur ce que signifie survivre.
Les fantômes du passé
Dans ce Paris vidé, les fantômes sont partout. Non pas ceux des films d’horreur, mais ceux – bien plus puissants – des souvenirs et des absents. Ce sont les morts de la guerre, les voix disparues, les douleurs transmises sans bruit. Ils hantent les rues désertes comme ils hantent l’esprit d’Eric-John, qui voit surgir ces présences dans les silences et les non-dits. Le film les accueille avec pudeur, comme on accueille un héritage invisible mais déterminant. Ces fantômes, loin de faire peur, rappellent que nous sommes tissés de mémoire.
Réinventer le cinéma à l’heure du huis clos
Contrainte technique oblige, le film mêle images verticales filmées au téléphone, séquences plus léchées, plans fixes et poésie visuelle. Cette hétérogénéité reflète l’éclatement de notre rapport au réel durant cette période. Le cinéma devient un journal de bord, un acte de résistance douce, un espace de recomposition du monde. À travers ce bricolage sensible, c’est toute une époque qui se grave à l’écran.
En refusant la métaphore guerrière, Ceci n’est pas une guerre interroge notre besoin de nommer l’inconnu avec des mots anciens, souvent inadaptés. Cette crise n’est pas une guerre : c’est une parenthèse, une épreuve, une invitation à penser autrement la communauté humaine. Le film explore les paradoxes : isolement mais liens renforcés, peur mais solidarité, enfermement mais expansion intérieure. Il devient ainsi un miroir critique de notre époque, une méditation en mouvement.
Tonalité cinématographique – oeuvre-passerelle
Une comédie documentaire sur la survie ordinaire : voilà ce que pourrait être le sous-titre invisible du film. Car au-delà de la gravité du contexte, c’est l’humour tendre, la complicité entre les deux protagonistes, et une certaine légèreté poétique qui l’emportent. On sourit souvent, on se tait parfois, on se retrouve toujours. Le film devient un lieu d’accueil pour nos propres émotions, un refuge doux pour ceux qui cherchent encore un sens à ce que nous avons traversé. On aime la confrontation des formats du vertical à l’horizontal comme pour symboliser deux mondes celui du père et celui du fils. Les anciens et les plus jeunes. Un peu comme une oeuvre-passerelle, Ceci n’est pas une guerre dépasse largement son sujet. C’est une œuvre-mémoire, une traversée collective et intime. En salle, il permet de rejouer cette période avec distance et émotion, de la relire à la lumière des liens humains, des souvenirs et de ce que nous avons choisi de préserver. Il ne raconte pas une guerre, mais bien la manière dont nous avons tenu – malgré tout – debout.
Sur le sujet du confinement de la pandémie de la covid-19
La Damnée (2024, Abel Danan)
Cleo, Mevil et moi ( 2023, Arnaud Viard)
Hors du temps (2024, Olivier Assayas)
L’échappée Belle (2025, Pamela Varela)
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16 avril 2025 en salle | 1h 14min | Comédie, Documentaire
De Magali Roucaut, Eric-John Bretmel |
Par Magali Roucaut, Eric-John Bretmel
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Une réflexion sur “Ceci n’est pas une guerre – Une parenthèse suspendue dans un Paris figé”