Avec Oxana, son second long-métrage après Slalom, Charlène Favier s’inspire de la vie d’Oksana Chatchko. Cofondatrice du mouvement Femen, le film dévoile le combat d’une jeune Ukrainienne face à l’exploitation, le patriarcat et un régime autoritaire. À travers une mise en scène poignante et une performance bouleversante d’Albina Korzh, le film interroge l’engagement féminin et la résistance viscérale dans un monde répressif.

Une ressemblance troublante
On tremble devant la ressemblance entre l’actrice et le modèle. Au-delà de la simple dimension du biopic, le film offre un récit interrogeant la mémoire des mouvements sociaux et les dynamiques de pouvoir au sein des collectifs militants. Un film d’hier, mais sur une lutte encore d’actualité, car si Oxana se battait pour les droits des femmes et contre le patriarcat, elle se dressait également envers l’autorité et les pleins pouvoirs d’un régime répressif. Un film où l’on ne s’attend pas à être autant bouleversé dans nos préjugés sur la vie d’Oxana.
On découvre comment Oxana s’est engagée et a créé les Femen. Son combat pur le droit des femmes en Ukraine et ex-URSS, son combat contre le patriarcat. Son combat se traduisait par des actions à la fois percutantes et brutales, mises en scène avec force pour susciter une prise de conscience collective. En utilisant le corps objet-sexualisé par les hommes pour en faire une arme.
Le film nous plonge progressivement dans la détresse d’Oxana et en nous montrant sa chute et son exclusion progressive quand son action est institutionnalisée et reprise par Inna Shevchenko.
Charlène Favier s’attache au destin d’une jeune Ukrainienne, incarnée par la bouleversante Albina Korzh, prise dans l’engrenage de la violence et de l’exploitation. Le film ne se contente pas de raconter une trajectoire individuelle ; il explore, dans une mise en scène à la fois sensorielle et politique, les mécanismes plus larges de la prédation économique et sexuelle, et la manière dont certaines femmes y opposent une résistance viscérale. La photographie de Sébastien Goepfert, tout en contrastes de clair-obscur et de paysages glacés, traduit visuellement cette désillusion sourde planante sur le film, tandis que la présence fragile et déterminée d’Albina Korzh ancre le récit dans une vérité brûlante.
Au fil du récit, le film interroge aussi les conditions de la liberté d’expression dans un espace post-soviétique encore profondément marqué par l’autoritarisme, la corruption et les inégalités de genre. Les Femen y apparaissent comme une réponse radicale, une clameur nue face à un système qui muselle et écrase. Le film rappelle avec force combien dans de tels contextes l’expression artistique devient un acte de survie autant qu’un cri de guerre, et combien ce choix peut coûter à celles qui s’y risquent.

La réalisatrice poursuit ainsi un cinéma de l’intime et de l’engagement, prolongeant celui déjà initié dans son premier long métrage. Elle dévoilait sa capacité à filmer les corps en tension dans Slalom, elle affine ici une écriture plus ample, nourrie de témoignages de survivantes de la traite humaine, et mue par une nécessité politique. Touchée par le suicide d’Oksana Chatchko en 2018, la cinéaste a voulu redonner chair à ce destin brisé, tout en inscrivant son récit dans une géographie élargie : entre l’Ukraine en guerre et une France où se rejouent d’autres formes d’aliénation. Elle interroge ainsi les complicités transnationales, les silences commodes, et rend hommage aux figures militantes que l’on préfère souvent effacer.
Plus qu’un simple biopic, Oxana devient alors un manifeste poétique et tragique pour toutes celles qui, par l’art, cherchent à reconquérir leur dignité. Un film d’utilité publique, à l’heure où le corps des femmes reste un champ de bataille.
Naissance du projet – D’Oksana Chatchko à Oxana
Le film s’inspire de la vie d’Oksana Chatchko, la cofondatrice du mouvement Femen. Le changement de prénom d’Oksana à Oxana dans le film pourrait être une décision artistique visant à créer une certaine distance entre la réalité historique et la fiction. Cela permet à la réalisatrice, Charlène Favier, de prendre des libertés créatives pour explorer les thèmes et les émotions qu’elle souhaite mettre en avant, tout en rendant hommage à l’héritage et au combat d’Oksana Chatchko.
Le processus de création du film a été à la fois intime et collaboratif, s’étendant sur plusieurs années. La réalisatrice, Charlène Favier, a commencé par une enquête approfondie pour faire revivre le personnage d’Oxana, en collaboration avec Antoine Lacomblez. Cependant, la charge émotionnelle de la matière documentaire était si forte qu’ils ont dû repartir à zéro avec l’aide de Diane Brasseur, une romancière et scripte. Ensemble, ils ont repensé la structure du scénario pour laisser plus de place à la fiction, inventant notamment la dernière journée d’Oxana à Paris, le 23 juillet 2018. Cette journée fictive permet de créer un contrepoint à sa vie en Ukraine, où les souvenirs d’Oxana deviennent de plus en plus douloureux et sombres à mesure que la journée avance.
Comment montrer l’intimité que personne ne connait
Une grande partie du film est une création pure, particulièrement dans la manière dont il représente les émotions et les luttes intérieures d’Oxana. La réalisatrice a travaillé minutieusement sur l’esthétique du film, s’inspirant de tableaux et de peintures pour créer une atmosphère picturale et envoûtante. Les costumes, les décors et la lumière ont été soigneusement conçus pour sublimer le personnage d’Oxana et rendre hommage à l’artiste qu’elle était.
Le film s’ouvre et se termine sur la fête traditionnelle de Kupala, une célébration païenne de la nature et de la fertilité, qui symbolise le destin exceptionnel d’Oxana. Cette fête, bien que fictive dans le contexte du film, permet de souligner la connexion profonde de l’héroïne avec la nature et sa spiritualité. Le biopic mélange habilement des éléments biographiques avec des inventions artistiques pour créer un portrait riche et complexe de son sujet.
Le choix de l’actrice dans un contexte de guerre
Le processus de sélection de l’actrice pour incarner Oxana dans le film de Charlène Favier s’est déroulé dans des circonstances particulièrement éprouvantes, marquées par le conflit en Ukraine. La réalisatrice a entrepris des auditions en ligne, souvent interrompues par les réalités de la guerre, sous la direction de Tatiana Vladi, une directrice de casting familière des talents ukrainiens.
Après avoir auditionné près d’une centaine d’actrices, la réalisatrice a été profondément impressionnée par Albina Korzh, dont la performance naturelle et la force intérieure ont captivé l’équipe. Les actrices sélectionnées, notamment pour les rôles d’Inna, Sacha et Anna, étaient toutes des figures reconnues du théâtre ukrainien. À leur arrivée à Paris, après un voyage éprouvant, elles reflétaient l’épuisement et l’anxiété de leurs personnages, apportant une authenticité poignante à leurs interprétations.

Les divergences au sein des Femen et la marginalisation d’Oxana
Pour comprendre la chute aux enfers de l’héroïne, il faut comprendre comment progressivement Oxana a été exclue du mouvement qu’elle a fondé en Ukraine en 2008. Il s’est scindé en plusieurs branches aux orientations diverses :
- Femen International : À l’origine, le mouvement ciblait la lutte contre le patriarcat, les régimes autoritaires post-soviétiques et l’exploitation sexuelle, utilisant des actions provocatrices pour attirer l’attention médiatique.
- Femen France : Établie en 2012, cette branche s’est concentrée sur des enjeux occidentaux tels que la laïcité et les droits LGBTQ+, adoptant une approche plus médiatisée, parfois perçue comme institutionnelle.
- Femen Ukraine : Oksana Chatchko, cofondatrice, incarnait une vision radicale et anarchiste du féminisme, mêlant critique politique et spiritualité dans ses performances artistiques.
Les tensions internes se sont accrues avec la centralisation du mouvement autour de la branche française, dirigée par Inna Shevchenko. Des divergences stratégiques et des visions artistiques différentes ont conduit à l’isolement progressif d’Oxana. Son départ en 2013, suivi de son exil en Suisse, a marqué cette rupture. Tragiquement, Oxana s’est suicidée en France en 2018, reflétant les défis liés à la radicalité et à l’institutionnalisation des mouvements féministes.
Quelques lectures pour approfondir le sujet
– Lire l’interview de la réalisatrice –
– Article VOGUE –
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16 avril 2025 en salle | 1h 43min | Biopic, Drame
De Charlène Favier |
Par Charlène Favier, Antoine Lacomblez
Avec Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korovai
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Une réflexion sur “Oxana : la rage au corps, une révolte nue dans l’ombre du patriarcat”