Judith Davis nous offre avec Bonjour l’asile une comédie engagée qui frappe juste, mêlant habilement humour mordant et réflexion sociale profonde. Le film, qui sortira en salles le 19 février 2025, plonge le spectateur au cœur d’un ancien hôpital psychiatrique reconverti en tiers-lieu rural, devenu le théâtre d’une lutte entre utopie collective et réalité capitaliste.

L’intrigue – Le désir et le diktat de la société
L’intrigue suit Jeanne, une militante urbaine incarnée par Judith Davis elle-même, qui rend visite à son amie Élisa, récemment installée à la campagne. Ce château abandonné, rebaptisé « HP » pour « Hospitalité Permanente », devient le point de convergence de personnages aux aspirations divergentes : Jeanne, l’intellectuelle engagée, Élisa, la jeune mère débordée, et Amaury, le promoteur immobilier opportuniste.
La réalisatrice-actrice utilise les codes de la publicité et du sketch pour dénoncer l’absurdité de notre génération, prisonnière d’un planning répétitif et d’un conditionnement homme-femme persistant. Le film met en lumière la charge mentale disproportionnée qui pèse sur les femmes, jonglant entre vie professionnelle et gestion familiale. Quant aux hommes, souvent inconscients de cette pression, se complaisent dans une situation confortable en expliquant qu’ils ont un métier prenant et donc n’ont pas le temps d’aider à la maison.
La dynamique du couple
La réalisatrice explore avec finesse les dynamiques de couple, où les tentatives d’aide masculine sont parfois accueillies par des reproches, créant un cercle vicieux de frustration et d’incompréhension. Le film souligne le manque d’initiative des maris, qui ont tendance à accumuler les tâches avant de les accomplir, en contraste avec leurs épouses qui gèrent au quotidien toutes choses se présentant pour éviter l’empilement impossible.
Le film aborde des thématiques actuelles et pertinentes, telles que la persistance du patriarcat, la charge mentale des femmes et la gentrification des espaces communs. La réalisatrice réussit à proposer une réflexion intéressante sur le vivre-ensemble et sur la manière dont le capitalisme s’infiltre insidieusement dans tous les aspects de nos vies.

Un film sur l’amitié féminine
L’amitié féminine, souvent reléguée au second plan dans le cinéma, occupe ici une place centrale. Jeanne et Élisa, anciennes militantes, travaillent sur un projet commun qui interroge l’absence de pont entre intellectuels et mouvements populaires comme les Gilets Jaunes. Cette relation affective forte, liée à une réflexion sociétale, apporte une profondeur émotionnelle au film, s’éloignant des clichés du couple romantique.
Le choix du lieu, un ancien hôpital psychiatrique, n’est pas anodin. Il symbolise la réinvention d’espaces autrefois associés à l’exclusion en lieux d’utopie et de questionnement de la normalité. La cinéaste y voit une métaphore du soin nécessaire à notre société, passant par une désintoxication des injonctions modernes à la consommation, à la performance et à la connectivité permanente.
La mise en scène efficace et fluide valorise l’environnement rural et le château, soulignant l’importance du collectif. Les plans d’ensemble et les gros plans alternent pour mettre en avant les tensions et les émotions des personnages, renforçant la dimension humaine du récit. L’éclairage naturel et la palette de couleurs terreuses ancrent le film dans une atmosphère authentique et accessible. De même, les codes de la publicité et des sketchs apportent une dimension presque satirique à certaines scènes, pour mieux souligner l’absurdité de notre mode de fonctionnement.
Un film qui boite à force de jongler entre discours militant et l’humour
Cependant, le film n’est pas exempt de critiques. Certains pourraient trouver l’approche parfois caricaturale et l’accumulation de stéréotypes écolo-identitaires un peu lourde. Les scènes de monologue militant, bien que percutantes, semblent parfois plaquées sur l’intrigue plutôt qu’intégrées naturellement au récit.
Malgré ces réserves, le film réussit à conjuguer réflexion sociale et comédie avec brio. Le film invite à repenser notre rapport à la normalité, au soin et à nos modes de vie. Il souligne l’importance de la communication dans les relations, encourageant à exprimer ses frustrations plutôt que d’accumuler des rancœurs.
Apprendre à communiquer pour ne plus être dirigé par la colère
Le film met en lumière l’importance d’une communication saine dans les relations humaines, soulignant comment l’absence de dialogue peut mener à des conflits explosifs. À travers des personnages prisonniers de leurs habitudes et de leurs préjugés, la réalisatrice illustre avec justesse l’incapacité à exprimer clairement ses besoins et ressentis. Ce manque d’échange constructif, aussi bien dans la sphère privée que dans la communauté du « HP », alimente tensions et malentendus. Jeanne, Élisa et les autres habitants en font l’expérience : accumuler rancunes et frustrations ne fait qu’exacerber les conflits, créant un terrain propice aux incompréhensions et aux crises émotionnelles.
Judith Davis met en scène des situations où ses personnages, souvent maladroitement, apprennent à exprimer leurs limites et besoins. Ces instants de vulnérabilité et d’honnêteté deviennent des moteurs de changement, transformant peu à peu les relations. Le film défend ainsi la nécessité d’une communication bienveillante et assertive, essentielle à la résolution des conflits personnels et sociaux. En proposant une critique sociale ancrée dans notre époque, Bonjour l’asile s’impose comme une comédie engagée et percutante, qui, malgré quelques excès, stimule la réflexion et suscite le débat sur notre manière de vivre ensemble. La communication est la seule solution pour quitter la boucle, qui nous rend des prisonniers du quotidien absurde.

La boucle infernale : prisonniers du quotidien
Quand nous sommes enfermés dans une boucle ou un agenda qui nous rend malheureux, cela fait écho à la déclaration d’Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».
Le film dénonce avec force la routine aliénante qui emprisonne de nombreuses personnes dans une répétition incessante des mêmes tâches et schémas de pensée. Judith Davis met en scène des personnages pris au piège d’un quotidien figé, où chaque jour ressemble au précédent. Élisa, jeune mère débordée, incarne particulièrement cette oppression : enfermée dans un cycle de « faire, défaire, refaire », elle n’a jamais le temps de se consacrer à ses propres aspirations. Le film met en lumière le conditionnement social qui perpétue cette boucle infernale, notamment à travers le partage inégal des responsabilités entre hommes et femmes.
Avec un regard à la fois critique et absurde, l’humour permet de souligner comment cette répétition peut transformer nos vies en caricatures de nous-mêmes. Il invite à la remise en question de nos habitudes et encourage à briser ces schémas répétitifs pour retrouver une existence plus libre et authentique. Bonjour l’asile est un appel à la prise de conscience, incitant chacun à sortir de sa zone de confort et à redéfinir ses priorités pour échapper à l’aliénation du quotidien.
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26 février 2025 en salle | 1h 47min | Comédie
De Judith Davis |
Par Judith Davis, Maya Haffar
Avec Judith Davis, Claire Dumas, Maxence Tual
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