Critique de la société des privilèges à travers le portrait troublant de Boris Lojkine. Un film sur la réalité derrière ces flottes de livreurs qui travaillent sans compter leurs heures. L’ubérisation de la société a augmenté le nombre de travailleurs précaires, salariat déguisé pour ne pas dire esclavagisme des temps moderne, louant des comptes à profiteur du système.

Une immersion dans l’enfer du quotidien de ces invisibles
L’histoire de Souleymane remet en place notre personne et nos attentes motivées par des plaisirs éphémères et immédiats. Ils bravent la pluie et le froid, vivent dans une course contre-la-montre perpétuelle entre obligation morale et personnelle. Ils ont quitté le pays et ici devront cravacher dur pour essayer d’envoyer de l’argent à leur famille. Notre capacité à voir au-delà de l’immédiateté nous a progressivement plongé dans une société de micro service où nous demandons toujours plus et toujours plus rapidement les choses. On sait très bien la misère existante dans ce monde de la livraison, mais on continue à consommer.
On s’est habitué à tout avoir, on ne veut plus attendre deux jours pour combler un besoin, on a été avalé par un système dans lequel la rapidité de la satisfaction a excité le circuit de la récompense. Pourtant, les prix ont augmenté, le service s’est dégradé et les chauffeurs doivent travailler encore plus dur et plus rapidement pour gagner toujours moins.

La location de compte et le nouvel esclavagisme des temps modernes
Quand on note mal un livreur en raison d’un paquet est abimé ou légèrement mouillé, nous ne nions derrière la peur et la pression d’un homme qui devra rendre des comptes à un loueur de compte. Cette pratique est de plus en plus courante et déjà tant dénoncée par les autorités, malgré tout cela perdure. Les plateformes mettent en place un système de vérification d’identité, mais ce n’est pas suffisant. Derrière, il y a aussi les questions d’assurance et risques : quand un livreur non assuré se blesse, il tombe dans l’incapacité de pouvoir prétendre à quoi que ce soi, puisqu’il n’existe pas ou n’est pas en règle.
S’il était en règle, il pourrait travailler avec ses propres comptes, mais ceux qui organisent tout ce business autour de la détresse des sans-papiers sont rodés. Entre ceux qui enseignent des histoires déjà dites mille fois et ceux qui proposent des faux documents, la vie après le passeur n’est pas l’Eldorado tant attendu du pays des droits de l’Homme.
Boris Lojkine offre ici un portrait troublant de ces invisibles qu’on ne regarde pas, ceux qu’on veut oublier pour ne pas se sentir coupable de consommer à outrance. Il rend un visage à ces êtres anonymisés par le monde des notations et de l’impatience. Une course à bout de souffle avec un héros solaire malgré sa détresse, qui ne perdra jamais son humanité ! Abou Sangare, une belle révélation !
________
9 octobre 2024 en salle | 1h 33min | Drame
De Boris Lojkine |
Par Delphine Agut, Boris Lojkine
Avec Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow
En savoir plus sur Direct-Actu.fr le blogzine de la culture pop et alternative
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.


3 réflexions sur “L’HISTOIRE DE SOULEYMANE – Travailler toujours plus, pour gagner toujours moins.”