Rencontre avec David Oelhoffen à l’occasion de la sortie en salle du film Les derniers hommes


David Oelhoffen nous livre dans ce film une œuvre magnifique et éblouissante, malgré la dureté du sujet. Rencontre avec ce réalisateur passionné d’image et d’Histoire.

Bonjour, Merci David d’avoir accepté de répondre à nos questions sur votre dernier film. Il est probablement le dernier projet de Jacques Perrin, que reste-t-il de son entreprise initiale ?

C’est effectivement la dernière production de Jacques Perrin. Ce projet l’obsédait depuis dix ans. Le film était cher, compliqué à faire, improbable commercialement, mais il était hors de question pour lui de ne pas y arriver. Jacques adorait ce genre de défis. Il m’a laissé le réécrire, le projet a évolué, il m’en a confié les rennes, mais son empreinte est partout présente. Dans le choix de le faire sans casting connu en France, dans sa forme humaniste et âpre.

En France, on a tendance à oublier notre implication dans la défense des colonies françaises durant la Seconde Guerre Mondiale. Le film propose un sujet souvent peu enseigné durant la scolarité. Comment avez-vous réussi à doser la part de fiction et d’historicité ?

Le cadre est historique c’est vrai : après le coup de force japonais du 9 mars 1945, les survivants se jettent effectivement dans la jungle pour tenter de gagner la Chine selon un vague plan d’évacuation auquel personne n’a jamais cru. Sur les 20.000 combattants des forces françaises d’Extrême-Orient, à peine 3.000 y parviendront. Voilà pour l’historicité.

Ensuite l’historicité a des trous ! De la colonne Alessandri, qui constituait le gros de cette troupe, on sait quels ont été les survivants. De la « drink colonne », à laquelle on s’intéresse dans le film, on ignore toujours qui a pu en réchapper. Voilà où s’immisce la fiction. Ses hommes ont existé, on connaît leurs noms, une partie des survivants de la colonne est effectivement morte dans un crash d’avion. Un récit a été écrit par un légionnaire de la colonne Alessandri, Alain Gandy, à partir des échos entendus. Mais les détails de leur périple sont de l’ordre de la fiction. Et l’occasion de construire un film existentiel où on suit une groupe d’homme obligés de regarder la mort en face.
Le cadre est vrai, documenté, réaliste, historique, politique, les détails sont fictifs. On part du réel, pour aller vers l’allégorique. Pour moi, la drink colonne, c’est l’humanité toute entière.

Comment avez-vous décidé de choisir la nationalité de chacun des personnages ?

J’ai essayé de respecter les nationalités réelles de ces hommes, en choisissant des acteurs de la même nationalité que les personnages (Alvarez, Tinh, Sorbonne, Marly, Aubrac, Pepelucci, etc). Quand je ne trouvai pas, où que j’avais un coup de cœur pour un acteur dont la nationalité ne correspondait pas, j’ai adapté les nationalités des personnages aux acteurs qui allait les incarner. Par exemple, le sous-officier de cette section s’appelait Janicek dans la vraie vie, il était d’origine tchèque. Il est devenu Janiçki dans le film, car j’ai tenu à travailler avec Andrzej Chyra, ce formidable acteur polonais. Là encore un mélange de réel et de fiction.

Malgré la brutalité du contexte, le film possède une dimension Naturaliste, mais ses différentes intentions nous mènent à l’Existentialisme. Pourquoi avoir choisi de terminer le film sur une scène aussi symbolique que celle d’une immersion dans l’eau ?

Le film parle pour moi, à travers le parcours de Lemiotte, de la nécessaire réconciliation de l’homme avec lui-même, avec la nature. C’est le sens du film. C’est ce qui se passe dans cette dernière scène.
On ne sait plus très bien ce qui est réel ou non, à la fin, si Lemiotte devient fou, s’il meurt, s’il survit. On est dans son point de vue déréglé. On sait juste que Lemiotte s’est reconnecté aux hommes qu’il méprisait, et à cette nature qu’il craignait.
La guerre corrompt les hommes. Mais on n’est pas condamné pour autant. On peut renaître.

De même, au-delà de la symbolique du baptême. Le choix d’usurper l’identité de quelqu’un, n’est-il pas une manière de prendre au pied de la lettre l’idée de changer de vie et de repartir à zéro une fois sa dette payée ?

C’est effectivement un baptême païen. Encore plus primitif que le baptême chrétien.
Plus qu’un changement d’identité, c’est une fusion.
Pour moi, on est tous Lemiotte ET Janiçki.
On a tous un besoin d’ordre, de lois, de protection (Janiçki) et tous un instinct de survie, de conservation, avec des pulsions individuelles (Lemiotte).
On peut considérer qu’ils deviennent un seul personnage. Un homme complet

Pour survivre, on doit accepter de perdre ou minorer son identité au profit du groupe. Selon vous, lequel des personnages représente le plus l’esprit de groupe et lequel au contraire reste le plus ambigu ?

Janiçki, comme je le dis plus haut, c’est l’ordre, le groupe avant l’individu / Lemiotte est un individualiste forcené. Pour survivre, on a besoin des deux. Du groupe, du collectif, mais aussi, du libre-arbitre. Le récit est bâti sur cette tension.
Il pose surtout la question de la loi. Quelle est la loi qui s’applique ? À qui doit-on être loyal. Le collectif doit s’organiser autour de quelles valeurs ?

Au casting, on retrouve l’acteur italien Guido CAPRINO, il possède un jeu intense et une réelle présence à l’écran. Comment s’est passé le travail de direction d’acteur ? Comment (ensemble) avez-vous composé son personnage ?

Nous nous sommes très bien entendus avec Guido. Ca a été une coopération.
Il s’est énormément investi dans Lemiotte.
Comme pour tous les autres rôles, nous avons décidé de la back story de son personnage ensemble. Les légionnaires n’ont pas de passé, du moins, ils n’en parlent pas, le fuient pour certains. Mais pour chacun des personnages, cette histoire cachée était définie, explicitée, pour que l’acteur puisse s’appuyer dessus émotionnellement.

C’est Guido qui a choisi son nom Guiseppe Sotille. Et nous avons défini sa vie. Arrivés sur le plateau, le gros du travail était fait. Le talent et l’intensité de Guido ont fait le « reste ».
C’est le personnage le plus abîmé au départ
Et c’est celui qui se transforme le plus, qui accomplit le besoin de régénération.


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