Dans le tumulte des secrets de famille, parfois, c’est dans le silence que réside la plus assourdissante des explosions. Un silence, de Joachim Lafosse pose un regard de ce moment où la famille éclate aux fracas des mots. Une exploration sans jugement du paradoxe poignant où le silence, loin d’être apaisant, devient le lieu où les tensions, les non-dits et les secrets familiaux atteignent une masse critique. Ce long métrage en immersion nous plonge dans l’univers complexe des relations familiales, dévoilant comment le silence peut être un puissant révélateur des fissures et des fractures qui ébranlent les fondations de la cellule familiale.

Un film sombre ne disant pas pourquoi certaines personnes se taisent, on ne prend pas parti, on laisse juste se dérouler le récit nous emportant sur le long chemin menant à l’explosion de la cellule familiale. Jeanne Cherhal et Mathieu Galoux sont les surprises de ce Film, quant au couple Emmanuelle Devos et Danile Auteuil, ils sont glaçants dans cette métamorphose dérangeante.
Pourquoi un silence ?
Dans ce film, on dévoile comment la vérité éclate et vient mener à sa chute la cellule familiale. On ne parle nullement des raisons du silence. Souvent, le silence des témoins/conjoint face à un comportement déviant de leur conjoint ou parent s’enracine dans des dynamiques psychologiques complexes. La peur de représailles, la dépendance émotionnelle, de voir la famille éclater et la culpabilité peuvent entraver la volonté de dénoncer.
Les témoins peuvent se sentir pris au piège dans une toile d’émotions contradictoires, craignant à la fois la réaction de l’agresseur et le poids de trahir un lien familial. La psychologie de la victimisation peut également amener les témoins à minimiser l’impact des comportements déviants, cherchant à préserver une illusion de normalité pour maintenir une stabilité fragile. Ainsi, le silence devient parfois un mécanisme de survie psychologique complexe dans lequel la peur et la loyauté s’entrelacent, entravant la capacité à dénoncer des comportements nocifs.
Le poison du silence
Au cœur de chaque famille réside parfois un poison insidieux, un secret jalousement gardé qui agit tel un venin destructeur. Ce secret, comme une ombre persistante, s’insinue silencieusement entre les membres de la famille, corrode les liens qui les unissent et mine la confiance qui devrait être le fondement de toute relation. Initialement enfoui pour préserver une façade d’harmonie, le secret devient progressivement une force corrosive, rongeant la communication, semant la méfiance et érigeant des barrières émotionnelles infranchissables.
À mesure que le poison du secret familial se propage, il engendre des conséquences dévastatrices. Les sourires deviennent forcés, les échanges se teintent de non-dits, et l’amour qui autrefois unissait les membres de la famille se transforme en un amalgame de ressentiments. Les relations entre parents, frères et sœurs se désintègrent lentement, laissant derrière elles un paysage de détresse émotionnelle. Le secret, devenu un fardeau impossible à ignorer, érode l’intégrité même de la famille, laissant des cicatrices invisibles qui perdureront longtemps après que le voile du silence ne soit levé.

Éveiller les consciences à travers « Un Silence »
Joachim Lafosse, dans son dixième film, aborde le thème délicat de la honte. Filant le récit avec Emmanuelle Devos, le réalisateur explore comment le silence entourant un crime engendre culpabilité et honte. Le réalisateur souligne que le silence ne doit pas être jugé mais compris, puisque derrière lui se cachent des épreuves et des difficultés à exprimer. Le personnage de Caroline, la fille, devient une messagère, incarnant une époque capable d’interroger la nécessité de l’écoute et de la parole.
Le scénario de Un Silence trouve ses racines dans l’affaire Hissel, où des éléments complexes de honte, culpabilité et silence ont émergé. Joachim Lafosse, en tant qu’auteur, cherche à comprendre comment ces émotions conduisent à des tragédies. Daniel Auteuil incarne courageusement François, un homme débattant pour préserver son secret, soulignant que la perversion est un mécanisme de défense.
Le réalisateur et le directeur de la photographie, Jean-François Hensgens, optent pour une mise en scène discrète, la caméra avançant à pas de loup. Tourné à Metz, le choix minutieux de la maison reflète une bourgeoisie provinciale, élément clé du film. À travers la famille au centre de l’intrigue, Lafosse peint une image mordante de la bourgeoisie, explorant la révolte qui prend du temps à s’infiltrer.
Emmanuelle Devos incarne Astrid, une femme qui se tait depuis trente ans. Joachim Lafosse et Emmanuelle Devos cherchent à explorer la complexité du personnage sans jugement, soulignant la nécessité de remettre en question l’ordre établi. Inspiré par l’Affaire Dutroux et l’Affaire Hissel, le réalisateur veut susciter une réflexion sur ce qui se cache au cœur des familles et des chambres à coucher, éveillant ainsi les consciences sur les loups masqués parmi nous.
L’affaire Dutroux et celle d’Hissel ont en commun le contexte tragique des crimes sexuels et la manière dont elles ont suscité des interrogations profondes sur la société. Marc Dutroux était un criminel belge condamné pour des enlèvements et des meurtres d’enfants dans les années 1990. L’affaire Hissel implique Victor Hissel, avocat des parents de victimes de Dutroux, condamné pour détention d’images pédopornographiques, avec son fils l’attaquant. Les deux affaires soulèvent des questionnements sur la justice, la honte, la culpabilité et le poids du silence dans les situations de crimes graves, illustrant les complexités émotionnelles et sociales liées à de tels événements.
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10 janvier 2024 en salle / 1h 39min / Drame
De Joachim Lafosse
Par Joachim Lafosse, Thomas Van Zuylen
Avec Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal
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Une réflexion sur “Un silence, quand la famille éclate aux fracas des mots”