Les colons ou la révélation de la part d’ombre de l’Histoire du Chili


Le cinéma et la culture populaire nous a surtout habitué à des récits sur les peuples autochtones d’Amérique du Nord que nous négligeons souvent ceux du Sud. Et le film de Felipe Gálvez Haberle vient nous dévoiler comment les colons ayant envahi l’Amérique du Sud n’ont rien à envier à ceux du Canada et États-Unis en termes de violence et perversion.

Un choc sur le plan esthétique, sur le plan du rythme du récit et aussi le jeu des acteurs. Mishell Guaña est captivante et Camilo Arancibia est charismatique. La photographie est saisissante et le réalisateur arrive à créer un lieu étrange où des âmes vont combattre en laissant de côté toute humanité. Il y a également ces deux scènes de viols posées en miroir. Elle est en quelque sorte mise en avant pour montrer comment l’Homme agit lorsqu’il se croit dieu et maître.

La voix du peuple chilien

Le film plonge le spectateur dans la Terre de Feu, République du Chili, en 1901, dévoilant un territoire convoité par l’aristocratie blanche cherchant à « civiliser » la région. Trois cavaliers, sous les ordres du lieutenant MacLennan et d’un mercenaire américain, sont chargés par le riche propriétaire terrien José Menendez de déposséder les populations autochtones de leurs terres.

Le jeune métis chilien, Segundo, devient le témoin des sacrifices nécessaires à la construction d’une jeune nation, entre sang et mensonge. Le réalisateur, Felipe Gálvez Haberle, explore une page oubliée de l’histoire officielle du Chili, celle du génocide des Indiens Selk’nam, offrant une réflexion sur l’effacement de pans entiers de l’histoire nationale et ses conséquences jusqu’à nos jours.

Les Colons se distingue également par son approche narrative. Mêlant des personnages réels et fictifs, le film s’inspire d’archives, de témoignages et de la première enquête sur le massacre d’indigènes réalisée à la fin du XIXe siècle. L’écriture du film ne vise pas une reconstruction stricte de la vérité historique, mais plutôt une réflexion sur la manière dont la fiction, notamment le cinéma, peut altérer et déformer l’Histoire.

L’histoire est déployée en deux temps, invitant le spectateur à suivre d’abord l’expédition des protagonistes en plein air avant de plonger dans des demeures obscurcies. Le réalisateur souligne l’importance de montrer explicitement la violence de l’époque, insistant sur sa responsabilité en tant que cinéaste de rendre compte de manière claire et explicite des événements tragiques ayant marqué l’histoire du Chili.

Un film sur une période occultée des manuels d’histoire

Le choix du réalisateur de traiter de la colonisation du Chili à travers l’histoire du film Les Colons révèle une volonté de mettre en lumière une page occultée de l’histoire officielle du pays. L’absence de cette période dans les manuels scolaires et le manque de reconnaissance des événements du début du XXe siècle, tels que le génocide des Indiens Selk’nam, ont motivé le réalisateur à explorer cette réalité méconnue.

La réflexion sur la manière dont une nation gère l’effacement d’une partie entière de son histoire devient le fil conducteur du film. En revenant à une époque où les colons, représentés par José Menéndez et ses complices, ont dépossédé les populations autochtones de leurs terres, le film souligne les conséquences persistantes de ces actes jusqu’à nos jours. Cette démarche met en lumière la nécessité de revisiter et de comprendre les omissions historiques pour appréhender pleinement l’identité d’une nation.

L’écriture du scénario, entre témoignage et fiction

L’écriture du scénario, élaborée en collaboration avec Antonia Girardi, se nourrit d’archives, de témoignages, de romans, de récits populaires, de peintures et de films pour créer une fiction qui transcende la simple reconstruction historique. Le réalisateur affirme que son film ne cherche pas à établir une vérité historique rigide, mais plutôt à susciter une réflexion sur le pouvoir de la fiction, notamment du cinéma, à déformer et à réécrire l’Histoire.

Le film explore ainsi les mécanismes de la mémoire collective et l’influence de la fiction sur la perception d’événements historiques. En adoptant une approche qui mêle personnages réels et fictifs, Les Colons devient une œuvre multidimensionnelle qui transcende les frontières entre le passé et le présent, la réalité et la fiction. On note aussi la fin du film qui dévoile comment on a forcé les natifs à devenir de bons citoyens en les brimant et forçant à adopter les nouvelles coutumes, tout en leur disant vouloir agir au nom du droit de réparation. Une scène violente et troublante, tant l’attitude de ces hommes caucasiens est dérangeante et malsaine.

Colonisation
Alors que les récits traditionnels de colonisation évoquent souvent les conquistadors en Amérique Latine ou les colons du XVIe siècle en Amérique du Nord, le film offre une perspective unique en se déroulant au début du XXe siècle au Chili. Cette période moins explorée dans l’histoire cinématographique chilienne expose les atrocités de la colonisation menées par des éleveurs de moutons, soulignant une facette moins connue de la construction d’une nation. Comparativement, les colonisations du Canada et des États-Unis, généralement associées aux conquêtes territoriales européennes du XVIIe siècle, ont marqué l’histoire nord-américaine par des événements tels que la traite des fourrures, les guerres indiennes et la dépossession des peuples autochtones. Les Colons met en lumière la brutalité de la colonisation au Chili, contribuant ainsi à une compréhension plus nuancée et diversifiée de cette période historique souvent simplifiée dans le récit global de la colonisation en Amérique.

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Note : 4.5 sur 5.

20 décembre 2023 en salle / 1h 37min / Drame
De Felipe Gálvez Haberle
Par Felipe Gálvez HaberleAntonia Girardi
Avec Sam SpruellMark StanleyAlfredo Castro
Titre original Los colonos


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