Visions, une douce folie hitchcockienne


Un film rappelant énormément l’univers du réalisateur Hitchcock. À travers le choix des actrices, des thématiques comme la figure de la dualité (blond vs brune). Tout dans la mise en scène et la construction du récit rappelle le sentiment de folie, de vertige.

Visions, le nouveau film de Yann GOZLAN avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz et Marta Nieto ne laissera personne indifférent. Les bons thrillers psychologiques se font rares, le fait que le réalisateur soit français éveille notre attention.
Toute la mise en scène rappelle l’univers du maître du suspens : Les scènes dans la voiture sur des grandes routes, la musique, le choix d’une actrice blonde se confrontant à une brune issue de son passé. Même la construction de l’espace et des distances, chez Alfred il y a toujours une maison isolée et des personnages qui vont et viennent en espérant que tant d’action donne du sens à leurs pensées. Autre exemple : « Fenêtre sur cour » est un film très dynamique, malgré un personnage immobilisé dans son fauteuil. Hitchcock savait manier l’art de la mise en scène et exploiter l’espace filmique. En jouant sur des thématiques fortes, toujours liées à ce questionnement de l’innocent tristement accusé et à celui de la folie, il a créé une mythologie très riche par sa symbolique.

Le principe de réalité poussé à son paroxysme

Tout au fil du récit, le spectateur est confronté à un principe de réalité où on ne sait plus ce qui est du domaine du rêve ou de l’hallucination. À plusieurs fois, il est évoqué le choix de tout à chacun de construire sa propre réalité et d’agir pour qu’elle prenne vie. Un thriller sans sa part de noirceur et culpabilité n’aurait aucun sens, et Yann Gozlan arrive à distiller des indices, ouvrant le film sur une enquête géante. Le spectateur assis dans son fauteuil cherche à en découdre avec les bribes de souvenirs de l’héroïne et ces différentes scènes se répétant à l’infinie tout y ajoutant quelques éléments différents. On s’embrouille et on cherche en vain à savoir comment grappiller ce tout.

De même, Il y a cette dimension très picturale et artistique : la profession de photographe de l’ex mystérieuse, sa disparition soudaine et aussi le champ lexical de l’Œil sans cesse repris. Que ce soit l’iris, le reflet dans un miroir rond, l’objectif d’un appareil photo. Toute cette syntaxe autour de la vision et aussi de la réalité est très importante. On doit remettre en question le jugement et l’état psychique de l’héroïne, et comme le disait souvent le mentor, les actrices devaient souffrir à l’écran, peut-être pour offrir aux spectateurs une forme de catharsis illusoire ? Mais à la sortie du film, nous sommes encore plus embrouillés et on cherche soi-même à se convaincre que l’héroïne est innocente et que le monde serait bien meilleur en restant manichéen !

L’oeil est le symbole du sens de la vue, les différents personnages s’observent en surinterprétant sur la vie de l’autre. Il y a dans ce film la mise en place d’une tension entre érotisme et voyeurisme.

Cette « surinterprétation » reflète le fait que nos perceptions visuelles sont souvent teintées par nos propres expériences, émotions et préjugés, ce qui peut conduire à une compréhension biaisée de la réalité. C’est ici que tout ce construit, Visions parle de la réalité, le nôtre, celle des autres et la dualité entre la raison, la passion et le désir.

L’idée de tension entre érotisme et voyeurisme dans le film renforce cette complexité. L’érotisme, qui implique souvent une certaine intimité et une attraction sensuelle, peut être contrasté avec le voyeurisme, qui consiste à observer secrètement la vie d’autrui sans leur consentement. Cette dualité évoque des questions plus profondes sur les frontières de la vie privée, la fascination humaine pour l’intimité des autres et les désirs cachés de l’observation.

Quand pouvons-nous distinguer le vrai du faux, comment expliquer qu’on pense savoir une chose ou avoir fait une chose ? Le réalisateur arrive à plonger le spectateur dans une chute sans fin en distordant la réalité, l’espace et le temps comme dans un mauvais rêve. Au milieu de tout cela, le cerveau doit restructurer le tout pour trouver de la cohérence, il va procéder à la création de faux-souvenir et de souvenirs écrans*. À la fin, qui est le bon, qui est le mauvais ? Tout n’est qu’une question de point de vue et ça, c’est peut-être le plus grand frisson qu’il soit !

Le réalisateur avoue en interview être énormément influencé par le travail du réalisateur britannique et sa manière de faire glisser le récit pour que le spectateur soit actif. Selon lui Diane est l’héritière de la figure des actrices hitchcockiennes. Il est vrai que tout d’elle rappelle les différentes héroïnes en proie à des démons intérieurs, des fantômes de leur passé. Il est même compliqué de savoir comment les choses avancent et on repense sans cesse à Vertigo avec ce double et ces souvenirs brouillés où les différents protagonistes vont mener des investigations pour comprendre les dessous d’une histoire obscure. Comme dans l’univers d’Hitchcock il y a un glissement avec lequel les innocents vont peu à peu être considérés comme des coupables. Même si dans Visions le réalisateur essaie de noyer le poisson et on ne peut s’empêcher de tirer des conclusions hâtives.

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Note : 5 sur 5.

6 septembre 2023 en salle ThrillerDrame
De Yann Gozlan
Par Yann GozlanMichel Fessler
Avec Diane KrugerMathieu KassovitzMarta Nieto

Les souvenirs écrans, un héritage freudien !

L’expression « souvenirs écrans » fait référence à des souvenirs qui sont influencés, voire altérés, par des éléments visuels ou narratifs provenant de médias tels que les films, les séries télévisées ou les photographies. Ces éléments externes peuvent fusionner avec nos propres souvenirs personnels, créant ainsi une sorte de mélange entre les expériences réelles et les éléments fictifs ou médiatiques. En conséquence, les souvenirs écrans peuvent être moins précis ou fidèles à la réalité en raison de cette interférence avec les images et les histoires que nous avons vues dans les médias.

En psychanalyse et philosophie, le souvenir écran est souvent assimilé à la théorie d’écran de substitution.

Le concept de « souvenir-écran » a été développé par Sigmund Freud dans le contexte de son auto-analyse. Il a remarqué que certains souvenirs d’enfance semblaient être mis en avant pour dissimuler ou masquer d’autres souvenirs plus profonds et potentiellement plus perturbateurs. Ces souvenirs dits « écrans » agissent comme une sorte de voile, empêchant l’accès direct à des souvenirs refoulés ou à des émotions inconscientes.

Un souvenir, auquel le sujet ne prête pas attention, mais qui au sein de l’économie psychique, cache et masque un souvenir refoulé. Il est présenté comme des souvenirs de manière à gérer les tensions émotionnelles et les conflits internes. Il illustre comment des souvenirs en apparence simples et innocents peuvent servir de mécanismes de défense psychologique pour éviter de faire face à des souvenirs plus difficiles à gérer sur le plan émotionnel.


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